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encouragé, comme l’enfant chéri et le brillant espoir de la famille stoïcienne.

Déjà vers la fin de la république, mais surtout sous l’empire, à des époques également funestes et fertiles en désastres publics et privés, les plus honnêtes gens s’étaient jetés dans le sein de la philosophie, autrefois si suspecte et si décriée à Rome, et lui demandaient pour eux-mêmes ou pour leurs enfans une discipline morale. Les philosophes ne sont plus de simples professeurs, ils deviennent les conseillers des grands, souvent de vrais directeurs de conscience, guidant la famille dans les chemins de la perfection intérieure, enseignant à bien vivre et à bien mourir, exerçant en un mot une sorte de libre sacerdoce. Qu’on nous permette de rappeler seulement quelques traits de mœurs qui mettent en lumière le prestige et ce qu’on appelait la sainteté de cette philosophie active et militante, et qui font voir aussi quelles étaient les habitudes, l’autorité et l’ambition de ces moralistes-prédicateurs. On vit de ces stoïciens, au milieu des guerres civiles qui déchiraient l’empire, se donner à eux-mêmes une mission pacifique, courir dans les camps, exhorter les soldats, leur prêcher la concorde. Au moment où les légions de Vitellius et de Vespasien allaient en venir aux mains devant Rome, dans une des plus terribles attentes qui aient jamais consterné un peuple, un philosophe, Musonius Rufus, ne comptant que sur son éloquence et la renommée de sa vertu, osa sortir de la ville pour apaiser les assaillans, et dans la naïveté de son courage, bravant les risées et les menaces d’une soldatesque avide de sang et de pillage, il ne se retira qu’au moment où il allait payer de sa vie sa morale intempestive. C’est ainsi qu’après la mort de Domitien, Dion Chrysostome, plus heureux que Rufus, parvint à faire rentrer dans le devoir les légions révoltées et donna à l’empire les Antonins.

De même, dans les afflictions de la vie privée, le philosophe vient offrir des leçons de constance ou des consolations. Quelquefois on l’appelle, on lui confie ses peines, on lui ouvre son cœur, on remet entre ses mains son âme impatiente ou endolorie. La femme d’Auguste, Livie, ayant perdu son fils Drusus, sur lequel reposaient tant d’espérances, fit venir Aréus, le philosophe de son mari, philosophum viri sui, leur confident à tous deux, et qui « était initié aux plus secrets mouvemens de leurs âmes. » Ce confident respecté, on pourrait dire ce confesseur, sut apaiser les premiers transports de la douleur maternelle, et Livie déclarait plus tard que ni le peuple romain, ému de ce malheur public, ni Auguste, accablé lui-même par la perte d’un si digne héritier, ni la tendresse du seul fils qui lui restât, ni les condoléances enfin des nations et de sa famille, n’avaient autant calmé sa peine que les discours du philosophe consolateur.