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serez miner, exténuer, par ces trois détestables marmots auxquels...

— Prenez garde, monsieur, que vous parlez de mes enfans, » s’écria Nettie avec un ressentiment très marqué; — mais le moment d’après, sur un ton bien différent : « Vous êtes de mauvaise humeur,... reprit-elle, vous aurez travaillé outre mesure... Peut-être vaudrait-il mieux ne pas venir au cottage... Je n’ai nulle envie de vous voir encore une fois vous quereller avec Fred.

— Vous me trouvez de mauvaise humeur? m’écriai-je, n’y tenant plus... Vous ne savez donc pas dans quelles angoisses je vis depuis trois mois?... Vous n’avez pas l’air de comprendre...

— Faites attention à vos paroles ! interrompit Nettie, ne vous préparez pas de repentir! Continuez comme pendant ces trois mois d’angoisses où vous ne m’avez pas dit, que je sache, un seul mot de plus qu’il ne fallait... »

C’en était trop de cette allusion cruelle; même pour moi, c’en était trop... Je laissai déborder tout ce que j’avais dans l’âme. Un peu interdite, elle m’écouta sans m’interrompre.

« Docteur Edward, me dit-elle ensuite avec une certaine solennité, vous savez le néant de pareils projets... Supposons qu’il en soit... ce que vous dites. Je ne suis pas libre de... rien changer à ce qui est; or vous savez comme moi que vous ne pouvez vous charger de Fred, de Susan et des enfans... Je ne me méfie pas, remarquez-le, de votre sincérité,... je ne dis pas que, si les choses étaient arrangées autrement, cela ne me convînt beaucoup mieux;... mais là précisément est l’impossible... Vous vous connaissez sans doute et vous devez me connaître?... Je ne vois vraiment pas, docteur Edward, ajouta-t-elle avec un léger soupir, qu’il soit possible de sortir de là...

— Est-ce tout ce que vous avez à me dire? m’écriai-je stupéfait.

— Et que vous dirai-je de plus? répliqua-t-elle en personne positive... Les élémens de notre situation, vous les connaissez comme moi... Quant à des regrets, il peut y en avoir; mais cela n’empêche pas de faire ce qu’on doit. »

Ce calme, cette impassibilité me démontaient. Rien de plus humiliant, rien de plus mortifiant pour mon orgueil en même temps que pour mon amour. Je ne sais si elle s’en aperçut; toujours est-il qu’elle reprit la parole : « Voyons, disait-elle, inventez vous-même ce que j’aurais pu répondre... M’est-il donné de changer ce qui est?... Si je vous fais de la peine, croyez que c’est malgré moi, et que je suis moi-même bien affligée... »

Nous étions cependant arrivés devant la porte du cottage.


« Ne vous désolez pas outre mesure, lui dis-je, et croyez que