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6,000 bêtes à cornes et 400 chevaux, ce qui fait à peu près une tête de gros bétail par hectare de terrain productif. On ne voit point d’arbres, si ce n’est autour des fermes, qu’un bouquet d’ormes, de peupliers et de saules protège contre la violence du vent. Dans les pâturages, deux objets singuliers attirent aussitôt l’attention : d’abord un grand mât au haut duquel l’oiseau de bon augure, la cigogne, est venu faire son nid sur une roue placée là par le fermier, afin d’attirer près de sa demeure le voyageur ailé au retour de ses migrations vers les pays du soleil ; ensuite une sorte de pieu allongé et recourbé qu’on a enfoncé en terre pour que les vaches, à défaut d’arbres, puissent venir s’y frotter l’échine : ce pieu, d’une forme bizarre, ressemble à quelque os gigantesque d’un monstre antédiluvien, et en effet c’est une côte de baleine, ancien trophée des victoires remportées par les pêcheurs hollandais dans leurs expéditions aux mers polaires. Ces côtes de baleine sont devenues un objet de luxe, car elles sont rares maintenant et coûtent cher. L’attention mise à étudier l’instinct des animaux, la prévenance à satisfaire leurs besoins est un trait de mœurs saisi dans un détail, mais qui a de grandes conséquences, car c’est en étudiant les lois de la nature afin d’en tirer parti qu’un peuple industrieux a su créer la richesse là où tout semblait devoir lui manquer à la fois.

L’été, les troupeaux restent nuit et jour à la prairie. On a seulement soin d’attacher sur le dos des vaches pleines une sorte de couverture pour les préserver du froid, ce qui fait dire aux plaisans qu’on rencontre en Hollande des vaches en paletot. Quand on visite les habitations rurales en cette saison, la pièce que la fermière vous montre avec le plus d’orgueil, c’est l’étable. La paroi extérieure, construite en brique, est percée d’une série de petites fenêtres toutes garnies d’un rideau de mousseline ; le plafond et la cloison du côté du fenil sont en sapin du nord reluisant de propreté. Une couche de sable fin et blanc recouvre le pavement de briquettes sur champ, et le balai de la ménagère y trace des dessins variés. Sur des tables et des dressoirs rangés dans les stalles des vaches, on voit souvent étalées les pièces d’argenterie et les vieilles porcelaines de la Chine et du Japon soigneusement transmises de père en fils, depuis le XVIIe et le XVIIIe siècle. Les objets rares ne manquent pas, et l’on peut en admirer plus d’un qui ferait la joie d’un amateur. Des pots de fleurs aux vives couleurs et des instrumens aratoires bien polis complètent la décoration. Dans l’intérieur de la maison se dressent d’énormes armoires aux formes antiques, toutes pleines de linge, de bijoux et de robes de soie, richesses héréditaires dont s’enorgueillissent les femmes. Les anciennes légendes du nord et l’histoire des rois germaniques parlent souvent