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vives, les plus crues de la Comédie humaine. Balzac est bien le patron en effet de ce groupe, où figurent en première ligne M. Augier, M. Dumas fils, M. Barrière[1]. Même quand il cherche à revêtir les choses réelles des plus riches broderies, on retrouve l’homme positif et un peu brutal dans un coin où on ne l’attendait guère. Eh bien! ce coin-là, vous l’apercevrez partout dans les œuvres des écrivains que nous venons dénommer; dans leur esprit, dans leur gaité, dans leur bon sens, dans leurs meilleures qualités; vous retrouverez je ne sais quelle rudesse originelle : lorsqu’ils rencontrent la vérité (et maintes fois ils la manquent, faute de patience), ils nous la donnent trop peu dégrossie et lui font tort aux yeux des gens délicats. Leur pathétique même, s’ils s’avisent de l’introduire dans une scène, est d’un ordre inférieur, en ce qu’il produit chez le spectateur une excitation nerveuse plutôt qu’une émotion de l’âme. Là est l’écueil dont il faudrait se garer. Peindre les mœurs du temps, rompre avec les vieilles conventions, ne rien farder, faire contraster à l’occasion le sentiment avec la plaisanterie, c’est fort bien; mais n’y a-t-il donc qu’une espèce de réalité vulgaire, mesquine ou odieuse? En général, dans les pièces du jour, la méchanceté, la lâcheté ou l’imbécillité de la nature humaine s’étalent tout à l’aise et ont une physionomie très vivante. Les passions généreuses au contraire semblent n’entrer en jeu que par un artifice ou une concession de l’auteur, elles sont rendues avec un accent beaucoup moins naturel, ou sont elles-mêmes entachées de quelque arrière-pensée. On comprend à merveille ce qui laid et petit : voilà de quoi alimenter notre verve comique; mais comprend-on également ce qui est bon et beau, ce qui seul peut nous permettre d’élever le ton de la comédie ou de créer un drame dont les figures ne grimacent pas? M. Emile Augier, de la comédie antique ou de fantaisie et de la comédie sentimentale, est allé se jeter dans la comédie satirique à outrance, combinée avec les moyens les plus violens du drame, témoin les Lionnes pauvres, le Mariage d’Olympe, les Effrontés et le Fils de Giboyer, où l’auteur nous promène dans un monde singulièrement taré. Même société de mauvais aloi dans la Dame aux Camélias et dans le Demi-Monde de M. Dumas; le Fils naturel exploite un autre genre de situation irrégulière; dans le Père prodigue, la réalité, — si réalité il y a, — est tout exceptionnelle : c’est le fils qui fait la leçon au père; dans la Question d’argent, on touche au mal du siècle; mais là, comme dans le reste, l’ampleur de la conception fait défaut. Si ce n’est dans la Dame aux Camélias, où l’héroïne est une femme perdue, on demeure froid, parce que l’esprit de l’auteur est sec. M. Théodore Barrière est plus gai; il possède une veine franchement comique, et dans les Faux Bons-Hommes cette veine se développe en liberté. Par malheur, c’est de l’esprit qui se dépense en gros sous au lieu de se fixer en belle et bonne monnaie d’or. Tous les personnages

  1. Nous ne plaçons pas dans ce groupe M. Ponsard : bien qu’il ait réagi contre le romantisme, il ne s’est point rallié aux principes du XVIIIe siècle, et c’est un écho affaibli de l’école purement classique qui vibre surtout en lui.