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de dépit, se jette dans les bras de Catherine, et, par une alliance dont la Pologne est le prix, introduit dans les affaires d’Allemagne un troisième survenant, le Moscovite. Puis arrive Napoléon. Ce grand capitaine, qui eut en politique si peu d’idées saines et si peu d’idées neuves, n’eut rien de plus pressé que de reprendre en les outrant à sa façon les erremens de Louis XIV. L’Allemagne fut cette fois la victime de la haine de Napoléon contre l’Angleterre. C’est l’Angleterre que visait Napoléon; c’est l’Allemagne qui recevait tous ses coups. Il ne peut mener à fin la fameuse entreprise de Boulogne, il fait une charge à fond sur l’Autriche. Il ne peut venir à bout des successeurs de Pitt, il foule la Prusse aux pieds. Il forme la confédération du Rhin pour avoir un tiers de l’Allemagne dans ses mains. L’Allemagne est à lui, il ne peut plus faire expier aux princes et aux peuples germaniques les forfaits de l’Angleterre; il ne peut plus, sur le continent, en demander raison qu’à la Russie : il poursuit l’Angleterre jusqu’à Moscou; mais l’Allemagne n’est pas quitte, elle fournit à l’invasion ses armées, qui plus tard devront si tristement se retourner contre nous. Napoléon tombe; une autre servitude attend l’Allemagne, une servitude moins violente, mais plus durable, celle de la Russie, qui s’empare des cours par la reconnaissance et le prestige des périls surmontés ensemble, par les souvenirs de la camaraderie militaire, par la pluie des croix et des pensions, qui pendant trente-cinq ans entrave le développement libéral de l’Allemagne, et par l’intervention du Deus ex machina de l’absolutisme de cette époque, l’empereur Nicolas, consomme à Ollmütz le triomphe de la réaction. Et pendant tout ce temps-là le peuple allemand, jouet de tant d’ambitions et de convoitises étrangères, avait néanmoins accompli toutes les œuvres qui consacrent l’originalité d’une grande nation, la placent au premier rang des races civilisées, lui donnent le droit de sortir de tutelle et de conduire avec indépendance ses propres destinées. Il avait régénéré l’érudition, il avait renouvelé la philosophie; il avait fait entendre dans la littérature et dans l’art des accens profonds et nouveaux. Qui pourrait justement en Europe contester à ce peuple le droit de prendre politiquement conscience et possession de lui-même dans une grande assemblée représentative, vivant organe de son union fédérale? Ce n’est pas la France; à moins de nous condamner à recommencer le même labeur puéril et ingrat pour aboutir à des conséquences également désastreuses, nous ne pouvons songer à faire avorter la régénération politique de l’Allemagne, nous ne pouvons travailler à perpétuer un état de choses suranné, vicieux, qui n’a laissé à la politique française aucun souvenir dont elle doive être fière, qui au contraire, pendant trente-cinq années, avait exalté artificiellement, de la façon la plus contraire à nos intérêts, une influence hostile à la France.

Ce qui conviendra à l’Allemagne comme nation doit convenir à la France comme peuple; c’est notre conviction, et nous tenons d’autant plus à l’exprimer que nous entendons comme un demi-murmure à côté de nous qui serait l’écho d’une opinion différente. On aurait été étonné d’abord de l’ini-