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enfin, peut-être davantage, dont chacun raconte un poignant épisode de la catastrophe immense où ils furent anéantis !

Voyez cette maison de Proculus que nous venons de visiter : que de choses elle raconte ! Cet écroulement de l’étage supérieur, ces squelettes en morceaux qui en tombèrent, ces armes que le gladiateur n’eut pas le temps d’emporter, ces morts retrouvés dans un œcus du péristyle, cette absence de monnaies prouvant que les hôtes avaient pris avec eux leur argent, laissant derrière eux la pauvre femme au chapelet d’amulettes : que de révélations sur le dernier jour de Pompéi ! Cependant les dernières fouilles ont amené une découverte d’un intérêt plus dramatique encore.

Un jour, dans une petite rue, sous des amas de débris, on aperçut un espace vide au fond duquel apparaissaient des ossemens. On appela en hâte M. Fiorelli, qui eut une idée lumineuse. Il fit délayer du plâtre, qu’on versa aussitôt dans le creux, et la même opération fut renouvelée sur d’autres points où l’on avait cru voir des ossemens semblables, après quoi l’on enleva soigneusement la croûte de pierre ponce et de cendre durcie qui avait enveloppé, comme dans des châsses, ce quelque chose qu’on cherchait à découvrir… Et ces matières enlevées, on eut sous les yeux quatre cadavres. Tout le monde peut les voir maintenant dans le musée de Pompéi ; rien de plus saisissant que ce spectacle. Ce ne sont pas des statues, mais des corps humains moulés par le Vésuve et conservés dans cette enveloppe de cendre qui reproduit les vêtemens et la chair, presque la vie. Les os percent à et là certains endroits où la coulée n’a pu parvenir. Il n’existe nulle part rien de pareil. Les momies égyptiennes sont nues, noires, hideuses : elles n’ont plus rien de commun avec nous, elles sont arrangées pour le repos éternel dans une attitude consacrée ; mais les Pompéiens exhumés sont des êtres humains qu’on voit mourir.

L’un de ces corps est celui d’une femme auprès de laquelle on a relevé quatre-vingt-onze pièces de monnaie, deux vases d’argent, des clés et des bijoux. Elle fuyait donc, emportant ces objets précieux, quand elle tomba dans la petite rue. On la voit encore couchée sur le côté gauche. On distingue fort bien sa coiffure, le tissu de ses vêtemens, deux anneaux d’argent qu’elle porte au doigt ; l’une de ses mains est cassée ; on voit la structure cellulaire de l’os ; le bras gauche se lève et se tord, la main délicate est crispée, on dirait que les ongles sont entrés dans la chair ; tout le corps paraît enflé, contracté ; les jambes seules, très fines, demeurent étendues : on sent qu’elle s’est débattue longtemps dans d’horribles souffrances. Son attitude est celle de l’agonie, non celle de la mort.

Derrière elle étaient tombées une femme et une jeune fille. La