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Ajoutons que ces trouvailles sur place permettent de donner un nom presque sûr à plusieurs maisons récemment découvertes. Autrefois la fantaisie la plus arbitraire présidait à ces dénominations. Le plus souvent on infligeait aux ruines le titre du prince devant lequel elles avaient été découvertes. On avait ainsi la maison de l’empereur François II, celle de l’empereur Joseph II, celles de l’empereur, de l’impératrice et des princes de Russie, du grand-duc de Toscane, de la princesse de Saxe, etc. La maison du Faune était appelée par les Allemands maison de Goethe, parce que le fils du grand poète avait assisté aux fouilles qui l’avaient rendue au jour. Enfin, à défaut de prince, on désignait d’autres habitations par les peintures qu’on y avait retrouvées ou par quelques noms de propriétaires, un nom supposé très généralement. C’est ainsi qu’en trouvant cette inscription sur le pilier d’une porte : Pansam œd. Paratus rog. (en toutes lettres : Pansam œdilem Paratus rogat) en français : Paratus demande Pansa pour édile, on convertit en titre de propriété cette sorte d’affiche électorale, et la maison que fermait cette porte reçut le nom de maison de Pansa! Aujourd’hui les recherches mieux dirigées ont amené la découverte de plusieurs cachets gravés qui portaient des noms propres au génitif (T. Mescinionis, Sirici, etc.); on a donc pu affirmer avec une quasi certitude que les maisons où furent trouvés ces cachets appartenaient à Titus Mescinio et à Siricus, et on leur a laissé les noms de leurs maîtres.

Les fouilles se pratiquent avec un ordre parfait et une extrême probité. Quand on arrive aux couches inférieures de cendres ou de lapilli, la surveillance redouble. Les ouvriers les plus-habiles écartent ou grattent la terre avec leurs mains, furetant autour d’eux avec des précautions infinies. Le moindre objet trouvé est aussitôt mis à part, consigné au soprastante (au surveillant) et noté sur un registre. Durant ma dernière visite, on fouillait une maison très curieuse, où l’on avait découvert le matin, dans le tablinum, une petite peinture très vivante, un jeune homme aux yeux étincelans debout devant une femme nue et couchée, dont les cheveux, d’une finesse minutieuse, paraissaient peignés par un ancien maître allemand. L’ouvrier qui avait écarté le lapillo dit aussitôt, en voyant ce groupe connu : «C’est Bacchus et Ariane. » A mon arrivée, on déblayait le péristyle, encore couvert de trois pieds de pierre ponce. La paroi de gauche était toute revêtue d’une seule et vaste peinture où un lion plus grand que nature assistait, immobile et calme, à l’assaut d’un sanglier attaquant un ours. Ce n’est certes pas un chef-d’œuvre, mais cela frappe au premier regard : il y a l’effet voulu et rendu, le mouvement, la vie. Je restai deux heures devant ces fouilles. Comme on déblayait un simple jardin, l’on n’y trouva guère