Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde ; chaque voyageur paie 2 francs au bureau, reçoit un billet et un itinéraire, et, grâce à ces précautions, échappe à l’ancienne obsession et à l’avidité des guides. Des écriteaux avertissent les étrangers dans leurs langues qu’il est défendu de rien donner à qui que ce soit. Les étrangers se le tiennent pour dit, et, après avoir passé le tourniquet, se promènent librement dans les rues antiques.

Sous les Bourbons, il n’y avait ni péage, ni contrôle ; mais le voyageur était accaparé dès l’entrée par des cicérones officieux qui ne le quittaient plus et qui lui imposaient leur volonté souveraine, le conduisant à leur gré, selon leur humeur, à droite et à gauche et ne lui montrant que ce qui leur plaisait. Ce n’était pas tout : la plupart des maisons curieuses et des édifices publics étaient munis de portes closes devant lesquelles stationnaient d’autres custodes, les clés à la main ; ces portes ne s’ouvraient que moyennant finance. Enfin d’autres subalternes demandaient un pourboire pour découvrir les mosaïques en balayant le gravier. Le voyageur avait à donner la buona mano à chaque pas et sortait enfin de Pompéi, plus dépouillé que les ruines. Les guides d’aujourd’hui, dans leur costume quasi militaire, ne tendent plus la main sous peine de destitution : ils sont moins empressés, plus discrets, plus dignes ; ils vous suivent pour vous surveiller, au besoin pour vous instruire, non pour vous rançonner. Cet air de domesticité qu’on trouvait partout chez les plébéiens du pays tend à disparaître, au moins dans les endroits bien gouvernés : les jeunes surtout, ceux qui sont entrés en place depuis la révolution, n’ont plus rien des obséquieux mendians qu’on bâtonnait autrefois ; ils vous regardent en face et vous parlent en bon italien : ce sont des hommes. Cette différence frappe tous ceux qui, après quelques années d’absence, reviennent visiter les ruines. Je ne dirai pas que les guides de Pompéi soient devenus de grands savans ; ils se trompent encore en répandant certaines erreurs consacrées. L’un d’eux m’a dit, par exemple, que Pompéi fut un port de mer, et qu’on a retrouvé sur les murailles les anneaux où s’enfilaient les câbles ; un autre m’a soutenu que le temple de la Fortune avait été construit par Cicéron ; un troisième, qu’on a découvert un billet de spectacle annonçant la représentation d’une pièce de Plaute ; un quatrième, que les Osques adoraient la déesse Isis. Faut-il s’étonner de ces erreurs quand on les retrouve dans des livres sérieux, publiés longtemps après qu’elles furent réfutées ? Les guides savent déjà lire : c’est un grand point obtenu ; dans quelque temps, ils suivront des cours où on leur apprendra ce qu’ils auront à dire ; l’année prochaine, ils pourront donner des leçons aux chevaliers et même aux commandeurs qui écrivaient autrefois des itinéraires de Pompéi.

Mais nous n’avons encore fait que passer le tourniquet, entrons