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problème dans toute sa généralité : ils exagèrent l’importance d’une cause qui n’agit pas seule, mais qui devient l’unique objet de leurs études. Ils simplifient le problème et tranchent la question, ne pouvant la résoudre. Il y a (quelques années, un spirituel astronome, que l’on prit peut-être en cette circonstance plus au sérieux qu’il ne le désirait, avait annoncé un hiver chaud par ce seul motif que le courant du gulf-stream s’était dérangé de sa course habituelle dans les parages de Terre-Neuve. L’influence de ce courant sur la température de l’Europe est sans doute appréciable, mais c’était se tromper que de la croire dominante. Je ne parle, bien entendu, que des prophètes de bonne foi ; quant aux autres, et le nombre en est grand depuis Mathieu Lænsberg jusqu’à nous, qui spéculent sur la crédulité humaine, il serait au moins inutile de les discuter. Les prédictions que renferment les almanachs sont un jeu auquel personne ne se laisse plus prendre, et ceux même qui les consultent y cherchent plutôt un rêve qu’une certitude.

Sans doute quelques-unes de ces prédictions se réalisent chaque année, car le hasard fait que l’on tombe quelquefois sur la vérité. Arago faisait observer très judicieusement à ce sujet que la faculté de prédire toujours le faux serait aussi précieuse que la faculté de prédire toujours le vrai, puisque l’un est la contre-partie de l’autre. D’ailleurs la mémoire conserve le souvenir des prophéties qui se réalisent et oublie celles bien plus nombreuses qui sont démenties par l’événement. Remarquons enfin que les prédictions sont pour la plupart très générales. On n’ose prédire le temps à jour et à heure fixes, mais on annonce avec confiance les phénomènes généraux des saisons. Dans ce cas, le prophète ne se trompe jamais tout à fait; il se sauve par l’interprétation. On ne risque guère à prédire qu’un hiver sera froid ou qu’un printemps sera pluvieux. Dans chaque saison, il se trouvera certainement quelques jours auxquels la prédiction pourra s’appliquer avec vérité.

Pour conclure, nous pouvons donc affirmer, sur la foi des hommes les plus compétens et des savans qui se sont le plus occupés de la météorologie, qu’il ne sera jamais possible de savoir longtemps d’avance ce que seront, dans un lieu donné, la température de chaque mois, les quantités de pluie comparées aux moyennes habituelles, les vents régnans. Le laboureur ne pourra jamais deviner en hiver la grêle qui hachera ses blés au mois de juin, le marin qui part du cap de Bonne-Espérance ignorera toujours si la tempête ne le saisira pas sur les côtes de France. Bien plus, toutes recherches de ce genre sont illusoires et peu dignes d’occuper les esprits sérieux. Est-ce à dire que la météorologie soit inutile, et qu’elle ne puisse fournir au voyageur et à l’agriculteur des indications précieuses?