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au jour une arme quelconque, que les fers de lance et de pique, les canons même de fusil, sont enveloppés soigneusement dans des étuis; on ne les ôte qu’en cas d’expédition militaire en pays ennemi, ou lorsqu’il s’agit d’escorter un criminel au lieu de son exécution. Aussi sir Rutherford Alcock, le ministre anglais, qui avait l’habitude de se faire accompagner à Yédo par des lanciers de sa propre nation, fut-il invité par le gouvernement japonais à dissimuler les fers de lance de son escorte pour éviter de faire naître chez les habitans la supposition qu’il nourrissait à leur égard des projets hostiles. Les lois japonaises relatives au port d’armes ont eu, il faut le reconnaître, de bons résultats, car il est remarquable que dans un pays où l’on rencontre un aussi grand nombre de gens armés qu’au Japon les collisions sérieuses soient si rares. Revenons au cortège du prince de Fossokawa.

Après l’avant-garde venaient huit soldats portant de longues hallebardes et des insignes dont la forme particulière indiquait le rang élevé du maître. Parmi ces marques de distinction, il y en avait une singulière, un chapeau en plumes de corbeau, qui servait plus spécialement à désigner la dignité de daïmio. Je vis ensuite s’avancer, comme une maison roulante, le lourd norimon (litière) : il reposait sur les épaules de douze hommes qui marchaient d’un pas égal, la tête et les jambes nues, comme l’exige l’étiquette japonaise. A peine fûmes-nous en vue, qu’un officier, qui se tenait hors des rangs, courut à la portière du norimon, probablement pour annoncer au prince que des étrangers se trouvaient dans le voisinage. On tira aussitôt les rideaux de telle façon qu’il nous fut impossible de rien entrevoir de la personne du grand seigneur qui passait si près de nous. A droite du norimon, un olhcier portait, enveloppé dans un drap de velours, un sabre, l’arme précieuse et honorée du prince. Derrière la litière, quatre palefreniers conduisaient deux beaux chevaux de selle, magnifiquement harnachés; puis suivait en bon ordre le reste de l’escorte militaire, composée d’environ quatre cents hommes, tous bien armés, et dans une tenue irréprochable. Les officiers supérieurs se faisaient porter dans des litières plus petites que celle de leur maître. L’imposant cortège s’avançait, comme nos troupes en marche, sur deux files, et couvrait une étendue considérable du to-kaïdo. Il était fermé par une multitude de domestiques (deux ou trois cents au moins), qui portaient chacun, aux extrémités d’une perche posée sur l’épaule, deux coffres en bambou contenant la garde-robe et autres effets de voyage de leurs maîtres respectifs. Tout le cortège défila en silence devant nous. Çà et là, des soldats ou même quelque officier nous lançaient des regards peu aimables; mais nous ne fûmes l’objet d’aucune démon-