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il expira. La jeune fille alla chercher une natte et en couvrit le cadavre. À ce moment même, des soldats, faisant partie de l’escorte du prince de Satzouma, vinrent à passer ; ils se ruèrent sur le corps inanimé, le mutilèrent, puis le jetèrent comme un objet immonde dans un champ voisin. La fille d’auberge les suivit, et pieusement elle couvrit le cadavre une seconde fois. C’est dans cet état que le trouvèrent M. du Chesne de Bellecourt, le ministre de France, MM. Vyse et de Graeff van Polsbroek, les consuls anglais et hollandais, et leur suite.

Dans le jardin qui s’étend derrière la maison du mi-chemin, il y a une éminence d’où l’on plane sur le golfe de Yédo. Devant nous, ce golfe magnifique se déployait comme un immense lac ; à notre droite s’ouvrait le port de Yokohama. Une vingtaine de navires européens y reposaient sur leurs ancres ; un bateau à vapeur, marchant à grande vitesse, vint prendre place au milieu de la petite flottille ; c’était le Yang-tse, le fameux bâtiment de M. Dent, que tous les Européens, résidant en Chine et au japon connaissent et aiment, parce que bien souvent il leur a apporté des nouvelles d’Occident un ou deux jours plus tôt que les autres navires partis en même temps de Hong-kong ou de Shang-haï[1]

De la maison du mi-chemin, une route bien entretenue nous conduisit en une demi-heure à Kavasacki. La chaussée, qui traverse des champs de riz, est coupée vers son extrémité par une petite rivière sur laquelle on a jeté un pont de bois. Les rares passans que nous rencontrâmes à cette heure matinale ne firent pas grande attention à nous ; mais la présence de notre escorte leur inspira un certain respect : tous s’empressèrent d’ôter leurs chapeaux dès qu’ils nous virent arriver, et ils n’osèrent les remettre que lorsque nous les eûmes dépassés de beaucoup. Un seul homme, volontairement ou par oubli, nous regarda passer, la tête enveloppée dans un grand mouchoir. Un de nos officiers s’approcha vivement de lui, et, le frappant d’un violent coup de cravache à la tête, il lui parla avec colère. L’homme se jeta immédiatement à genoux . en se décoiffant et en implorant son pardon. Dans nul pays au monde, on ne tient autant qu’au Japon à la stricte observance des lois de l’étiquette et de la civilité. Cela s’explique en partie par la

  1. On construit pour les mers de Chine et du Japon les meilleurs bateaux à vapeur qui puissent se construire en Angleterre et en Amérique, et les grandes maisons de commerce de Shang-haï et de Hong-kong rivalisent entre elles pour avoir les bateaux les plus rapides. Plusieurs de des bâtimens valent des sommes énormes : il en est un qui ne charge que quelques centaines de tonneaux de marchandises, et qui a coûté à ses propriétaires plus de 2 millions de francs ; mais aussi le service maritime entre Hong-kong et Shang-haï est-il fait avec une précision admirable, et cela malgré les ouragans terribles qui visitent si fréquemment ces parages.