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La route de Kanagava à Yédo fait partie du to-kaïdo (chemin de l’ouest), qui traverse tout l’empire du Japon depuis Nagasacki, à l’extrémité sud, jusqu’à Hakodadé, au nord, et qui relie entre elles les grandes cités de Kiou-sioti, de Sikokf et de Nippon. C’ést une chaussée fort bien entretenue et qui est des plus pittoresques. Dans le voisinage de Yédo et en général à proximité des grandes villes, elle est très animée, et bordée des deux côtés par de nombreux villages qui se suivent de près, et qui sont reliés entre eux par des chaumières, des fermes isolées et des maisons de thé[1]. La route entière ressemble ainsi à une longue rue. Les voyageurs qu’on y rencontre vont à pied ou se font porter soit dans de grandes litières (norimons), soit dans d’étroites et incommodes chaises (kangas). Les nobles seuls ont le droit de se servir d’un norimon. La forme et la grandeur de ces litières varient suivant le rang des personnages. Les norimons sont formés d’une caisse oblongue en bambou natté, surmontée d’un toit en bois léger, et ressemblent à une maison en miniature. Ceux des hommes sont blancs et noirs; ceux qu’emploient les femmes de distinction et les prêtres sont revêtus de laques routes ou vertes. Les voitures ne sont pas connues au Japon; à peine y voit-on quelques lourdes charrettes traînées par des bœufs[2]. Quant aux chevaux, ils font l’office de bêtes de somme, mais on ne les attelle jamais à un véhicule. Les cavaliers sont très rares sur la route, car il n’appartient qu’à des officiers d’un certain rang de monter à cheval, et l’étiquette japonaise exige que, pour se rendre d’une ville à une autre, ils voyagent en norimons, et se fassent accompagner d’une nombreuse escorte.

A mi-chemin entre Kanagava et Kavasacki, se trouve une maison de thé qui est connue sous le nom anglais de middle-way tea-house. Elle est tenue par une bonne vieille femme et sa fille, jeune et jolie créature que les résidens français de Yokohama ont surnommée la belle Espagnole. Ce fut près de cet endroit que le pauvre Lenox Richardson périt assassiné. Mourant, il se traîna jusqu’au seuil de la maison qui lui était bien connue et demanda à boire. La bonne et courageuse fille s’inquiéta peu de la présence des assassins ; se souvenant sans doute du salut amical que Richardson lui avait adressé en passant par là plein de force et de jeunesse quelques instans auparavant, elle lui apporta une coupe remplie d’eau qu’il vida avec la soif fiévreuse d’un homme blessé à mort. Peu après

  1. Il ne faut point confondre ces maisons de thé situées sur la grande route, ou tscha-jas, avec les djoro-jas, dont j’ai déjà parlé. Les tscha-jas sont des établissemens respectables où le voyageur trouve du repos et des rafraîchissemens.
  2. C’est dans des chariots ainsi attelés que voyagent quelquefois les membres de la famille du mikado.