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et grotesques comme d’un rempart. Ainsi abrité, il fusille sans relâche la fausse science, la fausse éducation, l’hypocrisie, l’injustice. Il n’aurait pu les attaquer autrement avec le même succès. Encore a-t-il senti que l’âme de son lecteur demandait quelque diversion et quelque relâche ; il a voulu le reposer çà et là de la fatigue du rire, et il s’est fait de temps en temps raisonnable, judicieux, attendri, pathétique même. Nous pourrions montrer de même que les romans de Voltaire, qui sont aussi des pamphlets, et des pamphlets d’une rare puissance, ne se réduisent certes pas à un ricanement perpétuel ; mais le simple roman de mœurs, qui n’est ni le pamphlet, ni la satire, et qui n’est écrit ni par Rabelais ni par Voltaire, comprend bien mal ses intérêts intellectuels (je ne parle pas des autres) et nos jouissances, lorsqu’il semble se donner pour unique tâche d’agiter par le rire notre système nerveux. Ce sera certainement l’une des gloires de notre siècle d’avoir élevé le roman à la hauteur des plus immortels chefs-d’œuvre. Aucun autre temps n’a rien produit de comparable à ces livres toujours jeunes qui ont pour titre Valentine, Mauprat, la Mare au Diable, Jean de La Roche, le Marquis de Villemer. Qu’on nous dise si le comique et le risible y abondent, et si, plus abondans, ils en eussent accru le charme et la valeur!

Encore un coup, il ne s’agit pas d’exclure le risible, ni même le comique, de la littérature en général et du roman en particulier, mais de ne les y introduire que dans l’exacte mesure. Cette exacte mesure, qui donc la marquera ? Le vrai génie et le vrai talent la trouveront d’eux-mêmes. Si, par une fatalité quelconque, ils en venaient à ne la plus apercevoir, et si la critique avait à la retrouver pour eux, celle-ci devrait la chercher où elle est, c’est-à-dire d’une part dans la connaissance du but de l’art, de l’autre dans la nature même du risible et du comique. Redisons-le en terminant : le risible en lui-même, et pris indépendamment du comique, qui est le développement d’un caractère, le risible excite la raison et l’amuse, mais sans la fortifier, et souvent même il n’éveille en nous aucune des idées supérieures qui sont les objets principaux et les régulateurs de l’intelligence. Ainsi, séparé du comique, le risible n’a pas avec le beau et avec l’art de relation nécessaire, d’où il résulte qu’il n’entre pas à titre d’élément nécessaire dans toute œuvre d’art. Aussi voit-on de vrais artistes qui s’en passent, et des gens qui manient habilement le risible sans que la Muse les ait jamais touchés. Que ceux-ci nous amusent, si cette fonction leur plaît, nous nous laisserons faire, et nous leur en aurons la reconnaissance qui convient ; mais cette gratitude n’ira pas jusqu’à les mettre à un rang qui n’est pas le leur. Le rang qu’ils ambitionnent est à un