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la joie et la douleur avec leurs nuances infinies, jamais il n’exprimera une idée : or, sans idée niée d’une part, affirmée de l’autre, il n’y a plus d’élément comique.

L’élément comique a son expression vivante, complète, agrandie même, dans le genre de poésie auquel il a donné son nom. À l’égard du rire, du risible et du comique, la comédie a plus de puissance expressive que tous les autres arts réunis, parce qu’elle les emploie tous, et qu’à leurs ressources combinées elle ajoute l’instrument sans pareil de la poésie en général, la parole, à laquelle elle imprime une forme particulière. Comme la statue, l’acteur rit ; mais son rire est celui-là même de la vie : il a le mouvement, le souffle, la voix, le visage, le regard. Mieux qu’en peinture, ce rire peut éclater dans toute sa force, parce qu’il n’est que passager, tandis que sur la toile il reste fixe, immobile, d’une immobilité que sa nature n’admet pas. Comme la musique joyeuse, la comédie nous égaie ; mais, au lieu d’une gaîté vague, sans cause connue, sans objet déterminé, la comédie nous met en présence de l’être ou de la chose risible : non-seulement elle nous fait ou rire, ou simplement sourire, mais elle nous apprend pourquoi et de quoi. Elle se meut dans le temps ; elle dispose de l’espace : dans ce temps et dans cet espace, elle développe ses caractères, les oppose les uns aux autres, et sans prêcher, sans déclamer, par le seul conflit du bon sens et du ridicule, elle nous donne, en nous divertissant, la leçon de la vie. Cependant, il importe de le remarquer, son but n’est de célébrer ni la grandeur héroïque, ni les grands crimes expiés par de plus grandes infortunes : la comédie se tient dans une région moyenne, à cet endroit où la faiblesse humaine s’arrête dans le ridicule, et mérite, non le malheur, mais la risée et les sifflets. De là toutes les différences qui séparent la comédie des autres genres de poésie ; de là aussi, pour qui sait voir et comprendre, la juste mesure dans laquelle la comédie elle-même admet le comique, son élément essentiel, et le risible, cet élément plus accidentel.

En effet, puisque la matière de la comédie n’est pas l’idéal, mais une réalité presque ordinaire, quoique épurée, au moins dans les formes qui la traduisent, les actions d’éclat, les coups de tonnerre de l’adversité n’y seraient pas à leur place ; mais il ne faudrait pas se persuader non plus qu’elle doive être comique du premier mot au dernier, sans la moindre interruption. Ce serait une image bien infidèle de la vie ordinaire que celle où tous les caractères représentés marcheraient à côté du bon sens, de la vérité et de la règle. Il y a plus, loin de délasser et divertir, la comédie ainsi comprise causerait la plus insupportable fatigue. Chose singulière et qui ressemble à un paradoxe, l’âme supporte mieux la continuité de la tristesse que celle de la joie. Voilà ce qu’il est urgent de dire à