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le Faune à la flûte et Silène tenant Bacchus enfant dans ses bras, tant ils craignaient de trop agiter les lignes du visage. Les modernes sont plus hardis, peut-être parce que nos sens moins délicats demandent à être plus vivement frappés. Au reste, il n’y a pas à s’en plaindre quand cette hardiesse produit l’Improvisateur napolitain de M. Duret ou l’Enfance de Bacchus de M. Perraud, cette œuvre exquise qui a été l’honneur de notre dernier salon de sculpture. Silène et ses aventures attestent que la statuaire antique se permettait aussi le risible, et même un peu plus. Le développement dans la durée d’un caractère comique est en dehors des moyens de cet art concis, qui doit produire sur le spectateur une impression instantanée. Toutefois le bas-relief permet la représentation en termes succincts de telle scène où quelque personnage connu expie dans une situation plus ou moins ridicule ses travers ou ses excès. Nous avons sous les yeux le moulage d’une patère antique trouvée il y a cinq ou six ans, à Athènes : on y voit Bacchus, en costume de femme, chancelant sous le poids de l’ivresse et soutenu par Silène et par une bacchante. Pour les dévots du paganisme, ce n’était sans doute qu’une image religieuse ; mais les sceptiques du temps d’Euripide y trouvaient probablement, comme nous-mêmes, un trait comique à l’adresse du dieu puni par où il aimait à pécher. La charge moderne nous a quelquefois régalés de morceaux vraiment comiques. Elle ne se borne pas à rendre la ressemblance plus frappante par l’exagération des lignes principales : elle signale aussi avec malice les manies, les défauts, les faiblesses des hommes célèbres ; mais le rire, le risible et le comique en sculpture imposent trop de sacrifices à la beauté. Minerve rejeta loin d’elle, dit-on, la flûte qui aurait déformé ses lèvres sérieuses. Périclès, au rapport de Plutarque, n’avait jamais ri. Le Jupiter Olympien de Phidias ne souriait qu’à peine. Des Vénus que le temps a laissé parvenir jusqu’à nous, aucune ne rit. La grande beauté garde un visage calme, et la sculpture est l’art de la grande beauté. Cela, bien entendu, ne regarde pas la sculpture de portraits, qui nous doit la physionomie habituelle et caractéristique du modèle. Rabelais souriait d’un large et franc sourire : un buste sérieux de Rabelais serait un contre-sens.

Par la façon merveilleuse dont elle a traité le sourire non-seulement dans le portrait, mais aussi dans les sujets les plus nobles et les plus religieux, la peinture a démontré que cette expression du visage humain lui appartient à tous les titres. Au moyen de la lumière et de l’ombre, en éclairant et en voilant le regard, elle a rendu toutes les nuances, toutes les grâces, toutes les séductions du sourire. Elle peut, quand il lui plaît, faire de ce sourire tantôt un lien entre la figure peinte et le spectateur, tantôt une chaîne magnétique qui réunit de nombreux personnages et confond leurs