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mer le rire, ou le risible, ou le comique. La solidité, l’équilibre, l’harmonieuse variété ou la richesse de la matière inerte, et indirectement les habitudes ou le genre de vie de l’hôte du monument ou de la maison, voilà le cercle que les forces expressives de l’architecture ne sauraient dépasser. Cet art, qui ne parle qu’aux yeux, a besoin, pour exprimer le rire, des traits de la figure humaine : or, ces traits et cette figure, il doit les emprunter à un art voisin, la sculpture. Quant à ceux qui disent parfois que l’architecture d’une maison est riante, ils attachent à ce mot un sens d’agrément ou de gaîté, et savent de reste que l’architecture ne rit pas. Encore moins par elle-même et par elle seule produira-t-elle l’impression et le sentiment du risible. Le style rococo, dans ses plus baroques fantaisies, est bizarre, capricieux, contourné, mais il n’est pas risible. Au vrai, dès qu’une œuvre d’architecture fait rire ou seulement sourire, il est certain que l’art y a enfreint quelqu’une de ses règles fondamentales, que l’incorrection s’y est glissée, que le plan était mauvais, ou que l’exécution en a été manquée. Et dans ce cas le rire, loin d’être un effet préparé et souhaité par l’artiste, est la punition de son incapacité. Jamais, dans l’architecture, l’incorrection ne sert à rehausser la beauté par une sorte de contraste. Parmi ces lignes symétriques et harmonieuses, sur ces façades étendues, toute irrégularité admise comme repoussoir s’aperçoit trop et acquiert une valeur désastreuse. Les architectes les plus médiocres savent cela : aussi lorsque des constructions voisines ou la nature du terrain leur imposent quelque irrégularité inévitable, ils ont des expédiens tout prêts pour masquer ou dissimuler la fâcheuse dissonance. Quant au comique qui est l’expression plus ou moins développée d’un ridicule, c’est-à-dire d’un caractère en dehors de la règle, comment l’architecture l’exprimerait-elle, puisque, réduite à son propre langage, elle ne sait même pas dire qu’elle l’abrite ?

À l’égard du rire, du risible et du comique, la sculpture est beaucoup plus puissante que l’art de bâtir. Il lui est donné de représenter le corps humain sous cette forme à trois dimensions dont l’aspect est saisissant. Muette, il est vrai, et immobile, la statue ne fait pas retentir la note éclatante du rire, et sa poitrine ne vibre pas ; mais ses lèvres s’entr’ouvrent, ses dents brillent, ses narines se dilatent, ses yeux se voilent à demi, elle sourit. La matière que la sculpture emploie, marbre ou bronze, or ou argent, n’ayant qu’une couleur, atténue doucement ce sourire, toujours trop visible dans la peinture, où le brillant émail des dents tranche sur le vermillon des lèvres ou sur les teintes brunes de la barbe. Et pourtant cette atténuation, à ce qu’il semble, ne suffisait pas aux sculpteurs grecs, qui contenaient, modéraient le sourire de leurs statues, comme le prouvent