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pour Opimius et le parti vainqueur, c’est que le plus jeune des fils de Fulvius, ce charmant enfant qui, envoyé par son père, avait apparu entre les deux partis comme un innocent génie de la concorde, fut égorgé après la victoire. On lui laissa le choix de sa mort : il dut être bien embarrassé, car il ne s’était, je pense, jamais encore demandé comment on s’y prenait pour mourir, A Rome, pour trouver une atrocité pareille, il faut franchir vingt siècles et arriver du fils de Fulvius au petit-frère de la Cenci, malgré sa parfaite innocence sauvé à grand’peine du supplice par un avocat courageux, et condamné à assister au pied de l’échafaud à la mort de sa mère, de sa sœur et de son frère. On savait ce que l’on faisait en le graciant ainsi, car il survécut peu à l’horreur d’un tel spectacle, et les biens des Cenci passèrent aux Aldobrandini.

Caïus Gracchus ne combattit point; il n’était pas venu sur l’Aventin pour cela, mais pour disputer quelques momens sa tête à ses ennemis. Il entra dans le temple de Diane, sur la pente du mont Aventin, pour s’y tuer; deux amis l’en empêchèrent. Alors il se mit à genoux, comme aurait fait un chrétien dans une église, et, tendant les mains vers la statue de la déesse, lui demanda que ce peuple qui l’avait trahi ne fût jamais libre. Cette prière du désespoir ne devait pas tarder beaucoup à être exaucée. Il voulut ensuite s’échapper en sautant de la hauteur où était le temple pour gagner le Vélabre; il se donna une entorse, ce qui retarda sa fuite. Son projet était de gagner la porte Trigemina, par où l’on allait à Ostie; mais elle était gardée. Ne pouvant sortir par cette porte, il n’avait plus d’autre ressource que de passer le Tibre et d’aller chercher sur l’autre rive la porte du Janicule. Il s’élança sur le pont en bois (Sublicius). Ceux qui lui donnaient la chasse l’y poursuivirent. Un autre ami, Lætorius, arrêta un moment la poursuite, renouvelant presque, pour protéger la retraite du fugitif, l’exploit d’Horatius Coclès, que ce pont rappelait. De l’autre côté du fleuve était un bois consacré à la déesse Furina, divinité funèbre que son nom a fait confondre avec les furies. Ce fut là que Caïus Gracchus fut atteint par ses persécuteurs, et qu’un esclave grec, par son ordre, lui donna la mort. Sa tête fut coupée et portée au consul par un misérable qui la remplit de plomb, et réclama, selon la promesse d’Opimius, le poids de la tête en or. L’histoire ne dit pas que, malgré la supercherie employée, le consul ait marchandé sur le prix ; mais il ne permit pas qu’un tombeau fût élevé au petit-fils de Scipion l’Africain. Le corps de Caïus fut jeté dans le Tibre, où l’on avait jeté celui de Tiberius. La maison de Flaccus, sur le Palatin, fut rasée comme l’avait été autrefois celle de Spurius Cassius, qui valait mieux que lui. Trois mille personnes furent égorgées. Après la mort de l’aîné des Gracques, on s’était