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quinze mille hommes au Mexique, comment pourrait-on demander à quinze mille jeunes gens de sacrifier sept années de leur vie pour aller défendre à deux mille lieues de la France un gouvernement étranger ? » Il est clair que si l’archiduc Maximilien prend la couronne sans être assuré pendant un certain temps de l’appui militaire de la France, sa situation sera des plus précaires et des plus fragiles. Adieu alors aux projets d’emprunt mexicain ! adieu au mirage du remboursement intégral et prompt des frais de la guerre ! adieu à l’expédient qui nous aurait permis de réduire les découverts du trésor ! Mais la question vaut la peine d’être envisagée avec une virile franchise et d’être tranchée avec une mâle résolution. Mieux vaudrait à coup sûr empocher, comme on dit vulgairement, la perte sèche des frais de l’expédition du Mexique que de nous engager dans une nouvelle série d’aventures sous une forme qui compromettrait gravement les intérêts de la France sans couvrir suffisamment son honneur. Notre politique en Amérique ne nous a point porté bonheur jusqu’ici. Il peut être chevaleresque, mais il n’est nullement prudent d’aller braver sans nécessité, en dehors du courant de nos intérêts naturels, contrairement à nos traditions les mieux établies, les États-Unis et leur doctrine de Monroë. Qu’on le fasse sans péril tandis que l’Union est déchirée par une effroyable guerre civile, nous le voulons bien ; mais pourrait-on de gaîté de cœur charger notre avenir du danger d’une collision avec la grande république américaine ? Ne goûtons-nous pas déjà les fruits de notre fâcheuse attitude envers les États-Unis ? Croit-on que nous ne sommes pour rien dans ces ovations aux officiers russes dont New-York, la cité impériale, nous envoie le-triste retentissement ?

Tout le monde a reconnu déjà depuis longtemps que notre action dans la question polonaise est paralysée par notre situation au Mexique. La presse officieuse vient de nous donner dans la question polonaise un spectacle étrange. Dix jours après le discours de lord Russell, les organes de cette presse, comme réveillés en sursaut, ont découvert qu’il y avait à tirer un grand parti de la déclaration du ministre anglais touchant la déchéance des droits que la Russie tenait des traités sur la Pologne. Les traités de 1815 n’existent plus, se sont-ils écriés d’un air triomphant, la question polonaise n’a jamais cessé d’être une question européenne, et la France, qui n’y est pas plus intéressée que les autres puissances, y mesurera son action à celle des autres gouvernemens. Ces assertions frivoles et emphatiques ont semblé à une certaine portion du public comme l’inauguration d’une ère nouvelle où allaient disparaître toutes les responsabilités périlleuses qui peuvent atteindre la France dans le drame douloureux où se jouent encore une fois les destinées de la Pologne. A ceux qui redoutent que les affaires polonaises nous entraînent à la guerre, aussi bien qu’aux journaux qui ont l’air de croire que nous pouvons, dans cette question, mesurer à notre fantaisie les responsabilités de la France, il faut rappeler que ni les gouvernemens ni les peuples n’ont sur les évé-