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ainsi dire dans l’esprit des auditeurs. Pour remplir ce rôle dans les assemblées délibérantes, M. Billault avait de notables aptitudes. C’était un esprit net ; il avait la parole lucide, la voix claire, le geste sobre. Ne pouvant attraper la grandeur, il fuyait l’emphase ; la chaude éloquence n’étant point à sa portée, il ne visait qu’au bon sens et à la précision.

Sa carrière oratoire s’est divisée en deux parts : la première partie comprend son rôle d’opposition de 1840 à 1848, la seconde sa fonction d’orateur du gouvernement devant le corps législatif et le sénat. Nous ne parlons pas de sa phase républicaine, qui ne profita guère à sa renommée. Dans sa campagne d’opposition, il fut quelquefois sur les derrières de M. Guizot un fourrageur gênant. Le talent de M. Billault parut avoir grandi dès qu’il fut devenu ministre-orateur. La tache était plus difficile, car il ne s’agissait pas alors d’attaquer, mais de défendre. En revanche, il était porté par la grandeur des questions dont la discussion lui était confiée, par l’autorité des informations officielles qui garnissaient ses dossiers, et aussi par cette forme alternativement vague ou mesurée où s’abritent volontiers les questions de politique étrangère, dont il avait fait son domaine exclusif devant les chambres. Il faut convenir encore que ce qu’il avait à défendre n’était guère attaqué, et qu’un ministre triomphe aisément, lorsque, devant un auditoire unanimement favorable, il n’a affaire qu’à deux ou trois antagonistes. Une épreuve décisive manquait donc à la réputation de M. Billault : c’était de tenir ce rôle d’apologiste officiel en face d’une opposition forte parle nombre et le talent. Le spectacle de cette épreuve semblait nous être promis ; nous l’attendions avec une curiosité à laquelle l’intérêt d’art se mêlait naturellement à l’intérêt politique : nous étions impatiens de voir M. Billault, avec ses qualités et ses lacunes, aux prises par exemple avec M. Thiers, avec un homme d’un esprit vif et bien armé, qui a pratiqué les grandes affaires en chef ayant à la fois l’initiative et la responsabilité, qui d’ailleurs sait d’abondance les traités, la géographie, les finances, la guerre, qui, pour pousser une puissante argumentation politique, n’a pas besoin de demander du temps, et n’a qu’à puiser à l’instant même dans son propre fonds, enrichi par une ancienne, profonde et constante culture. La mort n’a pas voulu nous laisser connaître si M. Billault était capable de sortir à son avantage d’une telle rencontre.

Quel que soit au surplus le rang qui lui appartienne parmi les orateurs contemporains, personne ne contestera que M. Billault n’ait été le produit de cette grande école parlementaire qui a fécondé pendant plus de trente années la vie politique de la France. Cette école peut revendiquer pour elle le talent de M. Billault ; ceux-là mêmes pour lesquels ce talent était, dans ces derniers temps, devenu une force et une parure auraient mauvaise grâce à n’en pas convenir. La vie parlementaire était la grande éducation politique du pays ; elle formait des hommes. Quelle est aujourd’hui l’éducation politique de la France ? quels hommes forme-t-elle ? Il est impossible