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Ce petit commerce amusait Louis XV. Il suivait ponctuellement les opérations de Malisset, ou du moins ce qu’on lui présentait comme tel. Il avait dans son cabinet de petits carnets où il notait les cours des crains sur les marchés, avec le compte de ses bénéfices, et ses flatteurs n’eurent pas de peine à lui persuader qu’il y avait en lui l’étoffe d’un négociant. Il se complut dans cette illusion jusqu’à sa mort. Lorsqu’on réimprima l’Almanach royal de 1774, l’abbé Terrai y fit mentionner un certain Mirlavaud avec le titre nouveau de trésorier des grains pour le compte de sa majesté. Ce trait d’impudence fit scandale, d’autant plus que ce Mirlavaud, ancien commis du financier Bouret, avait failli autrefois être pendu par les paysans de la Guienne pour je ne sais quel fait de monopole. Le ministre courtisan, désavouant l’imprimeur, fit fermer la boutique pendant trois mois, et corrigea l’Almanach royal au moyen d’un carton. On n’a jamais su en définitive si Louis XV avait gagné beaucoup dans cet honnête trafic. A sa mort, on s’attendait à trouver des trésors dans sa cassette particulière. Le bruit a couru qu’il y avait seulement onze cents louis d’or, avec une espèce de confession générale du mal qu’il avait fait à son peuple par les mauvais conseils de ses ministres. Suivant une autre rumeur beaucoup plus vraisemblable, on y aurait trouvé 9 millions en or et 97 en papier; mais, comme la compagnie était mise en péril par l’avènement de Louis XVI et de Turgot, on fit peser sur la succession du feu roi les charges d’une liquidation mystérieuse.

Tel a été le fameux pacte de famine. Il a troublé profondément le plus important de tous les commerces, il a profondément irrité les populations, et de tous les méfaits de l’ancien régime, c’est celui qui a le plus contribué à la chute de la monarchie. Dans le sanglant prologue de la révolution, quand Foulon était ramené dans son château avec une botte de foin sur le dos, quand Berthier de Sauvigny était conduit à la lanterne précédé de gens portant du pain noir au bout de leurs bâtons, c’étaient de cruelles réminiscences.


V.

Avec l’honnête Louis XVIe arrive l’honnête Turgot. «garçon laborieux, qui dîne presque seul et sobrement, et ne joue jamais. Les fripons de cour, qui le craignent, lui jettent bien des chats aux jambes[1]. » Que peut-il faire? Le blé est rare et cher depuis plusieurs années; les troubles pour les grains sont si fréquens et si graves

  1. Chronique secrète de l’abbé Baudeau, 5 juin 1774.