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pauvre père de famille comme moi ne peut en conscience refuser, je vais vous chercher immédiatement mes hommes.

— Voici tes 100 milreis et dépêche-toi, de peur que ces intrigans de libéraux ne cherchent à séduire tes compagnons pendant ton absence.

— Que sa seigneurie se tranquillise ! répondit le mulâtre en comptant attentivement ses milreis. Mes camarades ne connaissent que moi et le senhor. — Puis, mettant ses billets dans sa poche, il se dirigea aussitôt vers la maison où se tenait le candidat de l’opposition.

Senhor, vous n’ignorez pas mes sympathies pour vous. Vous connaissez aussi l’influence que j’exerce sur tous mes voisins. Je les ai amenés dans l’intention de porter votre nom. Seulement je dois vous avertir d’une chose, mon maître m’a promis 100 milreis si je les faisais voter en faveur de votre concurrent ; mais Mascarenhas est un homme d’honneur. J’ai repoussé cet argent, quelque besoin que j’en eusse, persuadé que vous ne me le refuseriez pas. Vous savez ma position : une pareille somme est une fortune pour un pauvre homme chargé de famille.

— Je n’attendais pas moins de toi. On m’avait bien parlé de cette affaire, mais j’étais sans inquiétude sur ton compte. Je sais depuis longtemps que tu es un vrai patriote dévoué au triomphe des idées libérales. Voici tes 100 milreis, et retourne vite près de tes camarades. Ces gens du ministère sont si peu scrupuleux qu’ils pourraient bien les débaucher pendant que tu es ici.

Mascarenhas prit cette seconde liasse de billets, les compta minutieusement, les plaça à côté des premiers, sortit, et se dirigea… vers sa demeure.

Le lendemain, grande colère du fazendeiro, qui ne parlait de rien moins que de faire bâtonner Mascarenhas comme un simple esclave. Il lui dépêcha deux vigoureux feitors avec ordre de l’amener mort ou vif, et fit tout préparer pour l’exécution. Le mulâtre arriva sans hésiter, avec toute la sérénité d’une conscience calme et d’un estomac bien repu.

— Comment, misérable drôle ! s’écria le maître en l’apercevant. Tu as filouté tout le monde et tu n’as tenu parole à personne ! Les étrivières vont t’apprendre à te jouer de moi et de mes amis !

— Sa seigneurie a tort de s’emporter contre moi, répondit le coupable avec un imperturbable sang-froid. J’ai fait mon devoir. Votre ami m’avait donné 100 milreis dans l’espoir que je voterais en sa faveur. Le candidat de l’opposition, qui était mon candidat à moi, m’en a donné également 100, à condition que je lui donnerais mes voix. Si j’avais voté pour l’un, j’aurais trahi l’autre, et vous savez que Mascarenhas est un homme d’honneur ! Il ne me restait qu’un