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par payant le tonlieu (droit de marché) et la droiture (taxe) que chacun des grains doit. Il peut avoir autant de valets et d’apprentis comme il lui plaît... etc. » En plein moyen âge, on trouve la boulangerie parisienne à peu près libre, sous la surveillance des officiers de la paneterie royale. On distinguait dès lors les boulangers de la ville et ceux des faubourgs, et on ne trouvait pas mauvais qu’une concurrence au profit du consommateur s’établît entre ces deux groupes. Dans les faubourgs, on pouvait fabriquer et vendre du pain à volonté. Les boulangers citadins formaient une espèce de corporation d’un accès très facile. Il suffisait, pour y être admis, de demeurer dans la ville et d’y acheter le métier du roi : c’était une légère patente une fois payée. Les quatre premières années d’exercice étaient considérées comme une sorte de noviciat. On constatait la maîtrise, après cette période, par une de ces cérémonies qui nous paraissent grotesques, mais qui témoignent du moins de la bonne humeur de nos ancêtres. Le futur maître se rendait chez le lieutenant du grand-panetier, escorté de ses confrères, et tenant dans ses bras un grand pot de terre neuf, rempli de noix et de petits gâteaux secs appelés nieulles. Après les sermens d’usage, chacun des assistans donnait un denier au lieutenant du roi : celui-ci faisait apporter du vin. On descendait dans la rue : le candidat, toujours chargé de son pot de terre, le brisait enfin en le jetant de toutes ses forces contre le mur, après quoi tout, le monde buvait ensemble.

Malheureusement les rois ne suivirent pas longtemps leur instinct; ils se laissèrent circonvenir par les légistes qui avaient pris à tâche de constituer un idéal de monarchie puisé dans les lois romaines. En ce qui concerne les subsistances par exemple, les conseillers de la couronne, bourrés de leur faux savoir, sont évidemment sous la préoccupation césarienne d’assurer le pain du peuple, de tout prévoir et de tout régler, de substituer leur propre sagesse à la cupidité ingénieuse du marchand et au flair naturel du consommateur. Le sentiment qui domine dans les ordonnances est celui de la défiance et de la sévérité. Le marchand redevient, comme dans le monde romain de la décadence, un esclave qui se doit au public, et qui mérite d’être châtié quand il ne fournit pas ce que le public attend de lui. On l’enchaîne de toute façon, et on le frappe quand il ne fait pas bien son service.

Intervient la défense d’aller vendre et acheter le blé chez les cultivateurs; l’utile industrie des blatiers est ainsi paralysée. Les laboureurs et propriétaires doivent apporter leurs grains sur les ports et marchés de Paris au moins deux fois le mois, et plus souvent, s’il leur est ordonné. Vendre sa marchandise en route est un délit