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fleuve n’étaient pas plus hospitalières au XIIIe siècle pour les marchands étrangers ou même français que les côtes barbares pour les héros du monde primitif. Tout bateau touchant le port de Paris avec des marchandises dont les Parisiens avaient sans doute grand besoin était saisi et confisqué. On trouve trace de procès pour le partage des prises de ce genre entre les gens du roi, l’évêque de Paris et le prévôt, représentant la bourgeoisie parisienne.

La féodalité avait aussi sa manière de spéculer. Elle avait remarqué que toute richesse ne sort pas de la terre, et, sans méditer sur ce point aussi longtemps qu’Adam Smith, elle voyait clairement que le travail humain ajoute une valeur aux produits du sol. Moins dédaigneuse qu’on ne le suppose des profits industriels, elle entreprit de monopoliser les deux métiers qui sont les principaux agens de l’alimentation, la meunerie et la boulangerie. Les moulins à eau et à vent ne s’étaient pas beaucoup multipliés : il fallait, pour les construire, certains droits fonciers, et de plus un capital dont la possession était rare parmi les vilains. On continuait donc à écraser le grain, tant bien que mal, dans chaque famille avec des moulins à bras. Si l’on se rend compte du temps qu’exigeait ce labeur dans tout le royaume comparativement à ce qui se passe aujourd’hui, on voit qu’il y avait là une cause d’appauvrissement. Les seigneurs proposèrent de multiplier les moulins à vent ou à eau, mais à la condition que l’usage en serait obligatoire pour leurs vassaux, et moyennant certaines redevances destinées à les indemniser. Ils établirent aussi des fours communs, sous prétexte que les cuissons à domicile occasionnaient souvent des incendies. C’est toujours au nom du bien public que les monopoles s’introduisent dans le monde. A leur origine, ils tiennent assez souvent leurs promesses; mais leurs fruits deviennent amers avec le temps. L’obligation de se servir des moulins et fours banaux devint une servitude intolérable et un des principaux griefs contre la féodalité. Un travail souvent mal fait était taxé arbitrairement. Un homme coupable d’avoir écrasé un peu de grain pour lui-même aurait été châtié sévèrement, à moins qu’il n’eût acquitté un droit nommé suite de moulin. Le roturier, même en son absence, devait payer la vertemounte, c’est-à-dire un droit correspondant à la quantité de grains qu’il aurait dû consommer sur les lieux. Il va .sans dire qu’un privilège aussi irritant fut souvent battu en brèche. En beaucoup d’endroits, les banalités furent abolies, atténuées, rachetées; toutefois la suppression de ce qu’il en restait encore en 1789 fut une des réformes qui causèrent le plus de soucis et de scrupules à l’assemblée constituante.