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pour procurer au public des satisfactions nouvelles. L’influence d’une mesure économique sur le prix de la denrée spéciale qu’elle concerne n’est d’ailleurs que le petit côté de la question. L’important dans les réformes de ce genre, c’est l’essor rendu à des facultés précédemment enchaînées, c’est la puissance de production, la richesse du pays, augmentées d’une manière générale, en raison de la solidarité qui unit toutes les industries.

Si bien fondées que soient ces considérations, ce n’est pas en les développant d’une manière abstraite qu’on ferait impression sur les esprits inquiets. Il ne faut pas que l’économie politique ait la prétention d’être crue sur parole. Le public a le droit de lui demander des faits et des preuves. Recherchons donc ce qu’ont été, à diverses époques et particulièrement dans le rayon de Paris, la fabrication, le commerce et la police du pain. Ne craignons pas de descendre jusqu’aux menus détails du métier, de mettre, pour ainsi dire, la main à la pâte : c’est le meilleur moyen de faire comprendre comment on a été conduit à introduire dans cette profession le principe vivifiant de la liberté et ce qu’on doit attendre du régime nouveau.


I.

L’habitude nous rend ingrats. Nous jouissons d’une foule de choses conquises par le génie humain sans savoir d’où elles nous sont venues. Nous oublions que des milliers d’objets ou de procédés, si vulgarisés aujourd’hui que l’usage en est devenu instinctif, ont donné lieu, dans la nuit des temps, à des efforts de patience, à des découvertes comme celles pour lesquelles nous prenons des brevets aujourd’hui. Que de grands inventeurs sont restés ignorés! On ne sait plus, par exemple, si le blé tel que nous le connaissons a son prototype dans la nature, ou s’il provient de quelque graminée enrichie et diversifiée par le traitement agricole. Nulle part on n’a découvert le froment panifiable à l’état sauvage. Les alimens que les races primitives trouvèrent immédiatement à leur disposition, la chair, les fruits, les feuilles, les racines, devaient fatiguer les organes digestifs. On fut conduit par l’instinct à en corriger la saveur excessive par des farineux. Pendant des milliers d’années, le gland remplit cet office; mais le gland est toujours plus ou moins acre selon les pays, et la récolte en est limitée.

On ignore quel génie bienfaisant entrevit le premier la possibilité d’enrichir la substance des graminées, et d’en multiplier la production par certains artifices de culture. La vague reconnaissance des peuples distingue encore, dans une lointaine auréole, deux noms, celui d’Osiris, le prétendu inventeur divinisé en Orient, et celui de