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mander qu’un congrès de juristes et de délégués des chambres et des tribunaux de commerce des principales villes commerciales du globe fût réuni pour arrêter les bases d’un code général. Seulement, chez nous en pareil cas, avec nos mœurs façonnées par des lois restrictives, ce ne peut être aux sociétés privées qu’on songe à faire appel, c’est à l’état seul. M. Leone Levy adressa donc au gouvernement français une requête qui fut renvoyée à l’examen du conseil d’état. Le rapport étendu dont elle a été l’objet, et qu’on a traduit et publié en Angleterre, appartient désormais à l’histoire de la question.

Ce rapport, disons-le tout de suite, quoique soigneusement et savamment élaboré, tend d’un bout à l’autre, par suite d’une confusion évidente, à étouffer la question. Il y avait une distinction essentielle à établir entre l’idée de dresser sur-le-champ un code international et la proposition de préparer les élémens d’une telle entreprise. Autant une mise en œuvre immédiate pouvait paraître impraticable, autant devait être utile la recherche des points sur lesquels on pourrait le mieux s’accorder. Sans doute on se serait heurté à des articles de loi assez nombreux où le droit commercial se mêle au droit civil et parfois au droit politique des peuples. La liberté de l’industrie est loin d’être entière en tout pays comme elle l’est en France. Dans beaucoup d’états de l’Allemagne, il faut, pour créer un établissement, ou bien se munir d’une autorisation préalable, ou bien s’être fait admettre dans une corporation. Autre exemple en fait d’anomalies particulières : tandis que la femme mariée peut chez nous, avec l’autorisation de son mari, se livrer à tous les actes de commerce, elle ne le peut pas en Angleterre, excepté dans la Cité de Londres, qui jouit sur ce point, comme sur d’autres, d’un privilège spécial. L’âge de la majorité n’est pas non plus le même partout; il y a tel pays où le mineur régulièrement autorisé à faire le commerce ne peut pourtant souscrire une lettre de change.

Voilà des différences, et on en pourrait citer d’autres; mais au fond que signifient-elles? A notre avis, loin de justifier l’inertie, elles ne font que mieux sentir l’utilité d’efforts actifs et patiens. Une preuve que ni les variétés d’organisation, ni les divergences de détail ne sauraient empêcher l’accord, une preuve qu’on peut viser à l’uniformité résulte d’un fait dont l’éclatante signification ne sera contestée par personne : sur les cinquante-deux nations citées dans l’ouvrage des Lois commerciales du Monde, il s’en trouve vingt-six qui ont adopté, soit complètement, soit avec de légères modifications, le code de commerce français[1]. La pensée mise en avant

  1. Parmi ces états figurent la Hollande, la Belgique, la Bavière rhénane, la Grèce, les Iles-Ioniennes, les États-Romains, les anciens royaumes des Deux-Siciles et de Sardaigne.