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le réseau collectif de l’Europe, celui où le nœud doit être le plus serré, c’est évidemment le Mont-Cenis. La situation géographique appelle de ce côté le grand courant de la circulation internationale. Ce n’est pas seulement parce que l’œuvre de la construction s’y présente plus grandiose et plus imposante que partout ailleurs, c’est parce qu’elle y prépare d’incomparables élémens de fécondité pour le réseau continental, que ce passage, unissant le bassin du Pô à celui du Rhône, apparaît comme le véritable couronnement du système des chemins de fer italiens[1].

Ce sont les divers travaux dont le nord et le midi de l’Europe nous montrent l’exécution récente, ce sont les efforts si divers dirigés vers une fin identique et touchant au but presque partout où ils ne l’atteignent pas encore, qui élargissent si considérablement les proportions du réseau continental; non pas que l’achèvement des entreprises signalées doive à nos yeux marquer un dernier terme : on ne sera pas à la fin de l’œuvre tant qu’on aura devant soi les vides que nous présentent les provinces centrales de la Russie, encore si peu habitées, et les belles régions de la Mer-Noire languissant sous le joug de l’islamisme. Eût-on triomphé de cette torpeur des âmes, de cet engourdissement des bras que traînent à leur suite le despotisme politique et le fatalisme religieux, qu’on verrait encore se dérouler plus loin un nouvel horizon. Les hardiesses de l’esprit ne demandent pas mieux que de devancer le jour où, après avoir touché aux limites de l’Europe, le réseau déborderait sans solution de continuité sur les contrées asiatiques; mais que ces éventualités soient plus ou moins lointaines, qu’elles appartiennent plus ou moins au domaine de l’imagination, il demeure acquis désormais que, pour l’Europe civilisée, pour l’Europe rentrant dans l’orbite de notre vie économique, la construction des lignes internationales touche à sa fin. Chaque jour disparaissent les lacunes existant çà et là. Il nous était donc permis de le dire dès l’abord : considéré dans ses grandes directions, le réseau en est venu à unir entre eux.

  1. Si nous voulions nous demander quel sera l’ordre probable de l’achèvement des derniers travaux sur les quatre points indiqués, nous trouverions en premier lieu le chemin de la Corniche, qui n’attend plus que de courts complémens, d’une part de Nice à la frontière d’Italie, et d’autre part de Gênes au groupe des lignes modénaises et toscanes. L’ouverture par le Tyrol pourrait suivre de près celle de la Corniche, et cela quoique le gouvernement autrichien soit visiblement aujourd’hui moins ardent à l’achèvement de cette voie qu’il ne l’était avant la guerre d’Italie et la perte de la Lombardie. Le troisième rang appartiendrait au chemin du Simplon, où les difficultés sont moindres qu’au Mont-Cenis, et où notamment, avec des facilités plus grandes sous le rapport de l’aérage, le tunnel à percer n’atteint pas 5,000 kilomètres au lieu d’en avoir plus de 12,000; mais il faut pour cela que la compagnie concessionnaire, qu’ont affaiblie tant de déchiremens intérieurs, surmonte ses embarras actuels. L’issue par le Mont-Cenis serait ainsi la dernière à s’ouvrir.