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vit Pontchartrain le 18 septembre 1707, vous réduire à des matières qui n’intéressent ni l’état ni les puissances étrangères, et qui ne puissent même être préjudiciables aux particuliers ; c’est à quoi vous ferez attention. » Cela rappelle le fameux monologue de Figaro, Le sieur Jort lui ayant écrit de nouveau, trois ans après, pour le consulter sur le plan d’un autre ouvrage, Pontchartrain lui répondit qu’il n’en autoriserait pas la publication, « son nouveau système touchant l’origine et la nature de la dîme paraissant dangereux et contraire à ce qui avoit été dit jusqu’à présent. »

A plusieurs reprises déjà, il avait été interdit aux protestans de sortir du royaume, et ceux qui essayaient de désobéir étaient poursuivis, traqués avec une cruauté inouïe. Renouvelée en 1699, la même défense fut transmise par le chancelier Pontchartrain sans l’expression d’aucun regret. Sa pitié, s’il en avait, n’allait pas jusque-là. Que penser de cette lettre du 14 août 1706 au lieutenant de police d’Argenson ? « Vous me mandez que le public a été indigné de l’exécution faite sur le cadavre du rubanier qui s’est pendu, et qu’on a épargné cette exécution sur le cadavre du nommé Coquebert. Je ne vois pas quelle raison peut avoir le public de désapprouver les exécutions qui sont conformes aux ordonnances. » Il y a dans ce respect absolu des ordonnances de quoi faire réfléchir les esprits les plus timides, les plus effrayés du progrès. Une fois pourtant on voit Pontchartrain recommander de ne pas garder plus de deux ou trois jours, sans l’en prévenir, les prisonniers qui n’auraient pas été arrêtés d’après l’ordre d’un secrétaire d’état, « cette manière d’emprisonner n’étant pas, dit-il, tout à fait dans les règles. » Il aurait bien voulu empêcher aussi les violences qui accompagnaient fréquemment les enrôlemens pour l’armée. Souvent les exempts du guet eux-mêmes abusaient de leur autorité pour se faire racoleurs. « Je veux, écrivit Pontchartrain à M. d’Argenson, que le guet observe les mêmes règles qui avoient été si sagement établies par M. Colbert. » Rien de plus juste ; ce qui suit l’était beaucoup moins. Colbert avait toujours employé sans scrupule les moyens les plus violens et les plus arbitraires pour empêcher des manufacturiers français de transporter leur industrie à l’étranger. Le but qu’il se proposait devant être utile à la France, tout lui semblait permis, Pontchartrain suivit ces erremens, empruntés à la despotique république de Venise. Informé qu’un chapelier de Paris projetait d’aller s’établir à Turin, il donna l’ordre à d’Argenson de le faire arrêter et de l’envoyer à la Bastille. La préoccupation de l’intérêt public est louable sans doute; autorisait-elle à faire si bon marché de la liberté de l’industriel et du citoyen?

On voit dans Saint-Simon que le chancelier Pontchartrain l’avait surtout captivé par la raison qu’il était « charmant en riens et en