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que l’ordre était donné de faire échouer les vaisseaux. «Voici, ajoutait Foucault, ce que l’on dit des motifs de l’échouement : M. de Sepville, neveu de M. le maréchal de Bellefonds, vint échouer fort sottement en arrivant à La Hogue sur un rocher assez près de terre. Or, par l’ordre de l’échouement général, la faute de M. de Sepville se couvroit. On dit encore que M. le maréchal appréhendoit que M. d’Amfreville, son gendre, ne pérît en défendant son vaisseau. Quoi qu’il en soit, vous serez surpris d’apprendre qu’ayant plus de deux cents chaloupes allant à la rame et trois frégates à douze canots chacune, nos vaisseaux aient été brûlés par une chaloupe qui ramena son brûlot, n’en ayant pas eu besoin. Tout cela se passa à la vue du roi d’Angleterre et de M. le maréchal de Bellefonds, qui y assistèrent comme à un feu d’artifice pour une conquête du roi... Je ne me plains de personne et n’en veux à qui que ce soit, et je ne vous mande tout ceci que parce que vous l’avez souhaité... »

Pontchartrain, à qui la misérable affaire de La Hogue ne pouvait être imputée, fit de son mieux pour en réparer les suites; mais, complètement dépaysé à la marine, l’ayant acceptée à regret et uniquement pour ne pas déplaire au roi, il manqua de l’énergie et de l’esprit d’initiative qu’auraient réclamés les circonstances. La France heureusement comptait à cette époque un groupe de marins fameux : Tourville, Château-Renaud, Jean Bart, Forbin, Duguay-Trouin. Ils continuèrent de lutter avec des forces plus ou moins inégales; mais que de fois, pénétrés de leur impuissance, ils durent déplorer le dépérissement de jour en jour plus sensible de la grande marine fondée par Colbert!

Mis enfin, après tant de changemens, sur son véritable terrain, Pontchartrain y donna des preuves d’une fermeté et d’une vigilance qui lui assignent, dans la galerie des chanceliers de l’ancienne monarchie, une place relativement supérieure. Dans cette période de sa carrière, il justifie beaucoup mieux que par ses mesures financières les éloges de Saint-Simon; quinze volumes de sa correspondance témoignent du zèle et de l’amour du bien public qui l’animaient. Une rare franchise, une vraie modestie, donnent en outre à sa physionomie un caractère particulier. Un chanoine de Tréguier voulait lui dédier un livre; il lui répondit de choisir un autre Mécène. Même réponse à un libraire de Rouen, en ajoutant : « Vous savez que je n’ai jamais permis ni ne permettrai jamais qu’on me dédie aucun livre. » Une autre fois il écrit au sieur Forcade, de Marseille, lieutenant-criminel et poète : « J’ai reçu les vers que vous m’avez envoyés; je les ai trouvés fort bons, excepté ceux qui me regardent. Quoiqu’il n’y ait rien pour quoi j’aie plus d’aversion que pour tout ce qui est louange, et même pour tout ce qui en approche, je ne laisse pas de vous être obligé de tous vos sentimens