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cela il fallut trouver un poste à Pontchartrain, qui n’avait pas démérité. Il fut donc nommé. Son fils, Jérôme de Pontchartrain, qui déjà travaillait sous ses ordres à la marine, l’y remplaça, et le protégé de Mme de Maintenon parut sur la scène.


III.

Rien de plus heureux ne pouvait arriver à Pontchartrain que ce changement, qui, tout en lui ôtant le fardeau d’affaires pour lesquelles il n’avait aucun goût, élevait sa position. Combien il dut s’en applaudir quand le successeur qu’on lui avait donné aux finances, Chamillard, se trouva aux prises avec d’insurmontables difficultés !

Je parlerai peu du rôle de Pontchartrain comme ministre de la marine. Les huit années pendant lesquelles il fut chargé de ce département n’ont été marquées par aucune mesure importante ; il s’y rattache cependant un triste souvenir, celui du désastre de La Hogue. Ce désastre, précédé d’une bataille où l’illustre Tourville avait fait des prodiges, démoralisa un instant notre flotte, et surprit douloureusement Pontchartrain. Honteux de leur inaction, les chefs de l’escadre, dont quinze vaisseaux venaient d’être misérablement brûlés sans avoir essayé ni de se défendre, ni de se sauver, n’osaient lui faire part des détails de l’affaire. Déjà des bruits sinistres circulaient à Paris, à Versailles, et le secrétaire d’état de la marine ne savait encore rien. La lettre suivante, qu’il écrivit le 7 juin 1692 à l’intendant de Caen, donne la mesure de son anxiété :

« Je suis surpris, monsieur, qu’il me revienne mille différens bruits de divers endroits de ce qui s’est passé à La Hogue et à Cherbourg, et qu’il ne m’en soit venu aucun de votre part, quoique vous dussiez être pour moi un homme de confiance plus qu’aucun autre. Si vous voulez que j’oublie bien absolument ce coupable silence, mandez-moi, avec la dernière exactitude, tout ce qui s’est fait de bien et de mal ; nommez toutes choses par leur nom ; n’épargnez personne, depuis le roi d’Angleterre jusqu’au dernier matelot. Il faut que je sache la vérité de toutes choses ; l’usage que j’en ferai ne sera que pour moi, et le secret sera inviolable. Et afin que vos lettres en semblables rencontres ne tombent pas entre les mains de mes commis, mettez une seconde enveloppe sur laquelle il n’y ait que ces mots : Pour vous seul. Adieu, monsieur. »

La réponse de l’intendant de Caen dut affecter singulièrement Pontchartrain. Elle portait qu’au conseil de guerre où se trouvaient le roi d’Angleterre, le maréchal de Bellefonds, Tourville, de Villette, avait d’abord décidé à l’unanimité qu’on se défendrait si l’ennemi attaquait, et qu’on s’était immédiatement occupé d’avoir d’autre poudre, celle de l’escadre n’étant que du charbon ; mais, au moment de la faire distribuer, l’intendant apprit que tout était changé et