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cida à faire cuire le pain, et il on vendit 100,000 livres par jour, à 5 sous la livre, dans cinq endroits différens. Des abus inévitables s’étant produits, et des personnes aisées ayant été convaincues de faire acheter du pain à 2 sous pour le revendre plus cher, les curés de Paris furent chargés de distribuer eux-mêmes ce qu’on appelait le pain du roi. Enfin, vers le mois de novembre 1693, ces distributions elles-mêmes parurent avoir beaucoup d’inconvéniens, et l’on estima qu’il y en aurait moins à donner aux pauvres de Paris et des faubourgs 120,000 livres d’argent par semaine, attendu, disait-on, « que les pauvres malades, les pauvres honteux et les pauvres artisans n’avoient pas seulement besoin de pain, mais de divers autres objets. » Un peu plus tard, le 22 janvier 1694, on ouvrit des ateliers publics, et pour tout salaire on donna du pain aux ouvriers. Quelquefois même le pain manquait. Ces embarras duraient encore au mois de juillet, ainsi qu’il résulte d’une autre lettre de Pontchartrain à M. de Harlay. « Le roi est fatigué de voir que ses soins sont inutiles, et que le fruit d’une conférence de trois heures ne soit que nouvelles contestations, et nul soulagement pour lui, nul service. Je vous parle avec la liberté d’un ami sincère et d’un fidèle serviteur, dont vous devez autant cacher l’avis qu’estimer le cœur. Ne croyez pas après cela être quitte de tout ; observez que si je vous dis de vous servir de M. de La Reynie, ce n’est pas dire qu’après cela tout est fait. » Heureusement la certitude d’une année de fertilité vint dissiper toutes les alarmes, et le blé, qui s’était vendu 54 livres le setier (pesant 240 livres) au fort de la crise, n’en valut plus que 16 à la récolte. Cinq ans après, en 1698, une nouvelle disette affligea la France, mais elle n’eut la gravité ni des précédentes, ni surtout de celle qui devait faire de l’année 1709 une des plus tristes et des plus calamiteuses de notre histoire.

Après des alternatives diverses où la France avait été tour à tour victorieuse et vaincue, Louis XIV s’était enfin décidé à traiter sérieusement, et des négociations s’étaient ouvertes. Elles aboutirent aux traités conclus à Ryswick en 1697 avec l’Angleterre, l’Espagne et les Pays-Bas. Nécessités par l’épuisement du pays, ces traités furent loin de satisfaire nos diplomates. Non-seulement en effet la France rendit au duc de Lorraine ses états, et, après tant de sacrifices en faveur de Jacques II, reconnut solennellement le roi Guillaume d’Orange, elle dut encore restituer aux Espagnols toutes les conquêtes qu’elle avait faites sur eux en Espagne et dans les Pays-Bas depuis la paix de Nimègue : Girone, Barcelone, Mons, Charleroi, Courtrai, Luxembourg, le comté de Chimay, etc. Les traités de Ryswick nous donnèrent, il est vrai, la souveraineté définitive de l’Alsace. « Si ce point avait été décidé à Nimègue, a dit un historien spécial, on eût épargné la vie à quatre cent mille