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espérait retirer des sommes considérables<ref> Ici encore le Journal de Dangeau fournit des indications précieuses sur les phases d’une affaire qui fut, dans cet ordre de faits, l’une des plus importantes sur lesquelles, depuis la mort de Colbert, le gouvernement eût été appelé à statuer. Voici ce qu’il dit : « 4 novembre 1694. — Le roi a fait écrire à tous les intendans des provinces pour avoir leur avis sur une capitation générale qu’on propose dans l’état, à peu près comme celle que l’empereur a faite dans les pays héréditaires. On croit que cette affaire pourroit produire 60 millions par an.
« 15 décembre. — Le roi régla hier beaucoup d’articles de la capitation; il s’est réservé à lui-même de la faire dans sa cour. Ce seront les intendans qui la feront dans les provinces. On nommera trois gentilshommes du roi, dont il en choisira un qui, avec l’intendant, travaillera pour la capitation de la noblesse. Chaque soldat paiera 20 sols. On commencera à payer la moitié de la taxe le 1er avril, et l’autre moitié le 1er juillet. On n’a pas encore décidé si le clergé y seroit compris. » </<ref>. Après quelques mois d’hésitations et de tiraillemens, la capitation fut résolue. La déclaration royale du 15 janvier 1695 portait d’ailleurs expressément que, commandée par les circonstances, elle cesserait de droit trois mois après la conclusion de la paix. D’une application difficile, parce que l’évaluation de la fortune supposée des citoyens est forcément sujette à erreur, la capitation donna lieu, comme la plupart des nouvelles taxes, quelque nécessaires et raisonnables qu’elles puissent être, à des récriminations violentes. Saint-Simon exprime avec sa vivacité habituelle l’opposition que rencontra une innovation si déplaisante pour les classes habituées depuis des siècles aux douceurs du privilège et à l’exemption totale en matière de contributions assises sur la fortune ou les propriétés; mais, quoi qu’en dise l’organe passionné des classes privilégiées, cette mesure, proposée par les états de Languedoc, qui en suggérèrent l’idée à Pontchartrain était certainement excellente, et présentait, malgré ses défectuosités inévitables, beaucoup plus d’avantages que d’inconvéniens. Une lettre que le contrôleur-général adressa, le 28 mars 1695, à l’abbé de Noirmoutier à Rome, parle même de l’empressement patriotique avec lequel le peuple, c’est-à-dire la bourgeoisie, les artisans et les paysans, paya la capitation, contre laquelle le clergé, la noblesse et les parlemens protestèrent seuls, comme ils faisaient du reste chaque fois qu’il était question de les assujettir à l’impôt. « Le pape, mandait Pontchartrain à l’abbé de Noirmoutier, n’a aucun sujet d’écrire au roi au sujet de la capitation, qui est une chose très juste et très équitable, qui ne se prend pas sur les biens des ecclésiastiques, qui sont exempts, mais sur les personnes, qui ne le sont pas de la fidélité qu’elles doivent au roi, surtout en un temps aussi pressant que celui-ci. Ce qui fait voir même l’équité et l’utilité de cette imposition, c’est que tout le peuple en est ravi et porte avec joie son argent aux receveurs. »

Laissons au contrôleur-général l’illusion de ce ravissement; il