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de l’équateur qu’il faut accuser de tous les déréglemens qui se produisent entre les deux tropiques. On doit s’inscrire en faux contre ces trop faciles conclusions. Loin de provoquer le développement des passions, l’extrême chaleur serait plutôt propre à les endormir. C’est dans l’esclavage que j’ai toujours cru voir la principale cause de la vie licencieuse de l’Américain. Que peut devenir en effet un opulent nabab, à qui les préjugés de sa caste interdisent toute occupation, au milieu d’un sérail de deux ou trois cents négresses ou femmes de couleur ? Le dévergondage arrive à ses dernières limites dans les plantations de l’intérieur, où, l’esclave ne comptant que comme tête de bétail, le créole n’a plus de témoin qui le rappelle au sentiment de la dignité humaine. De tels exemples doivent porter leurs fruits. Le noir, fier d’imiter les vices du blanc, renchérit encore sur lui, et c’est ainsi qu’il les transmet aux enfans du maître, dont il est l’unique précepteur. L’horreur du travail et le mépris qui s’attacherait à celui qui se rendrait coupable d’une pareille dérogeance, voilà le premier article de foi, on pourrait même dire le seul que le Brésilien apprenne dès son berceau. Les conséquences sont faciles à déduire : l’esclave ne travaille que sous le bâton du feitor. Quant à l’affranchi, qui veut, user des privilèges de l’homme libre, il se laisse aller à la plus déplorable fainéantise. Un voyageur français raconte qu’un nègre qu’il avait à son service ayant eu une légère indisposition, il le dispensa de toute course, et lui ordonna je ne sais plus quelle tisane. Le soir, comme il s’enquérait des effets du remède, le malade répondit gravement qu’il n’avait pas pu suivre ses prescriptions, parce que l’Indien Firmiano, qui servait de domestique à la caravane, n’étant pas venu dans le rancho, il n’avait pu se procurer de l’eau. Le ruisseau coulait… devant la porte. Je regardais cette anecdote comme le meilleur indice du culte voué au dogme de la fainéantise ; mais il m’a été donné plus tard d’être témoin d’un fait non moins étrange. Une négresse, qui venait de recevoir son diplôme de femme libre, se trouvait un jour avec nous sous la varanda de son ancien maître, attendant, accroupie sur ses talons, l’heure du feijão. Un chien qui se tenait à sa gauche nous importunant de ses cris, le fazendeiro la prie de le chasser. — Si senhor, répond-elle en se levant, et, tournant à droite, elle se dirige, à mon grand étonnement, vers la salle où se tenaient les nègres de service. Croyant qu’elle avait mal entendu, j’allai droit au chien, et d’un coup de pied je le forçai à prendre la fuite. Le fazendeiro, en homme fait aux subtilités du code nègre, n’avait nullement paru s’inquiéter en voyant son affranchie s’éloigner de l’animal. Quelques secondes après arrivait en effet la négresse escortée de deux aides de sa couleur. N’apercevant plus