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La refonte des monnaies suivit de près celle de l’argenterie du roi, des particuliers et des églises. Un savant économiste du XVIIIe siècle, dont les travaux sur les finances de l’ancienne monarchie font autorité, Forbonnais, a dit de cette refonte qu’elle fut la source de nos misères[1]. En 1675, il faut bien l’avouer, Colbert avait fait sur les monnaies une opération qui a été justement blâmée : il avait autorisé la fabrication de pièces de 4 sous à un titre inférieur. Bientôt, comme on aurait dû s’y attendre, ces pièces abondèrent grâce à la fraude, qui fut considérable tant en France qu’à l’étranger. À la même époque, le gouvernement ayant créé 3 millions de rente, on les lui paya principalement en pièces de 4 sous. Il fallut, pour faire cesser ce désordre, réduire la valeur de ces pièces à 3 sous 6 deniers ; mais la leçon avait été bonne pour Colbert, qui répara immédiatement son erreur par une opération contraire. Il circulait alors dans le commerce beaucoup de pistoles d’Espagne et d’écus d’or légers de poids. Ordre fut donné de les porter aux monnaies, qui les convertirent en louis d’or ou d’argent, aux frais du roi, sans perte pour les déposans. Il en résultait peut-être un léger dommage pour l’état ; mais, au point de vue des idées du temps sur le rôle des espèces, la mesure était des plus habiles. L’auteur d’un savant Traité sur les Monnaies, Le Blanc, a dit avec raison qu’on « n’avait jamais rien pratiqué en France de plus utile pour y attirer abondamment l’or et l’argent. »

Une expérience si récente n’empêcha pas le comte de Pontchartrain de commettre une faute digne des jours d’ignorance et de mauvaise foi où Dante accusait énergiquement Philippe le Bel de fabriquer de la fausse monnaie. Le gouvernement augmenta la valeur de la monnaie d’un douzième. Comme il y avait alors, d’après un calcul fait à la mort de Colbert, 500 millions d’espèces en circulation, la refonte ordonnée paraissait devoir procurer un bénéfice d’environ 50 millions. C’était une ressource relativement considérable ; mais l’opération de Pontchartrain fut aussi désastreuse qu’elle était déloyale. Ainsi qu’on aurait dû le prévoir, dès la promulgation de l’édit, le prix de toutes choses et le change avec l’étranger avaient subitement augmenté dans la proportion de l’augmentation des espèces. Seuls, les rentiers et les employés éprouvaient un dommage sans compensation. Une fois engagé dans cette voie, le contrôleur-général ne s’arrêta plus, et les édits sur les monnaies se succédèrent rapidement. « Il a déjà passé à la Monnoie, dit Dangeau le 18 décembre 1691, 385 millions, et on a encore connoissance de plus de 50, sans compter les pièces de 3 sols 1/2, qu’on va mettre à 4 sols. On fera aussi quelques changemens pour les louis d’or et d’argent

  1. Recherches et Considérations sur les Finances de France, t. 1er , in-4o, p. 491.