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Par exemple, l’état du cerveau dans la folie est une des pierres d’achoppement les plus redoutables de l’anatomie pathologique. Les uns trouvent quelque chose, et les autres ne trouvent rien, absolument rien. Suivant M. Leuret, l’un des plus éminens aliénistes, on ne trouve d’altération dans le cerveau d’un aliéné que lorsque la folie est jointe à quelque autre maladie, telle que la paralysie générale. De plus, les altérations trouvées sont tellement différentes les unes des autres, ont si peu de constance et de régularité, qu’on n’a aucune raison de les considérer comme des causes véritables. On peut tout aussi bien y voir des effets, la folie pouvant à la longue amener ces altérations. Dans ce cas, elles ne seraient, pour parler comme les médecins, que consécutives et non essentielles. Enfin une dernière difficulté se tire de la différence de l’homme et de l’animal. Cette différence s’explique-t-elle suffisamment par la différence du cerveau? Il ne le paraît pas, puisque certains naturalistes insistent sur l’identité du cerveau de l’homme et du cerveau du singe pour prouver que l’homme a pu être singe, ou du moins dériver, avec le singe, d’une souche commune. Ici les matérialistes sont assez embarrassés, car tantôt ils sont intéressés à prouver que l’homme diffère du singe, et tantôt qu’il n’en diffère pas. Veulent-ils prouver que l’homme n’est pas une espèce à part dans la nature, et qu’il a pu, à l’origine, se confondre avec les espèces inférieures : ils montrent les analogies. Veulent-ils expliquer la différence incontestable qui existe entre l’homme actuel et le singe actuel : ils insistent sur les différences. Mais ces analogies, ces différences, sur lesquelles on dispute, et que quelques-uns ne veulent pas reconnaître, sont-elles assez grandes pour expliquer l’abîme qui sépare les deux espèces? On invoque des intermédiaires, d’une part les nègres, et de l’autre les gorilles, très populaires depuis les voyages de M. du Chaillu. Or, je le demande, les gorilles seraient-ils capables de fonder la république d’Haïti ou la république de Libéria? Seraient-ils même capables de remplacer les nègres pour le travail de la canne à sucre ? Proposez cette solution aux planteurs d’Amérique; ils seront bien obligés de reconnaître que les nègres ne sont pas tout à fait des animaux. Plus il y aura de l’analogie entre la constitution de leur cerveau et celle du singe, plus il sera démontré que la différence d’intelligence tient à quelque condition que les sens ne nous montrent pas.

J’ajoute que, ces trois propositions fussent-elles démontrées, le matérialisme ne serait pas plus avancé, car il suffit d’admettre que le cerveau soit la condition de la pensée sans en être la cause pour que les faits mentionnés s’expliquent dans une hypothèse comme dans l’autre. Supposez en effet un instant que la pensée humaine