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des corps bruts. Ce n’est donc point par ses élémens que le corps vivant se distingue du corps brut, c’est par sa forme. Or cette forme, si vous n’admettez pas la génération spontanée, suppose une force spéciale distincte de la matière même. D’ailleurs cette idée de l’espèce qui serait inhérente au germe est un principe qui dépasse toutes les données du matérialisme. Le nouveau système est donc convaincu d’impuissance dans ses propositions sur l’origine de la vie : est-il plus heureux quand il essaie d’expliquer la pensée?


V.

Au premier abord, l’hypothèse qui réduit la pensée à n’être qu’une fonction du cerveau semble se présenter avec certains avantages, et n’être autre chose qu’une application rigoureuse de la méthode scientifique, car voici sur quoi elle s’appuie. Partout où l’on observe un cerveau, dit-on, on rencontre un être pensant, ou tout au moins intelligent à quelque degré; partout où manque le cerveau, l’intelligence et la pensée manquent également; enfin l’intelligence et le cerveau croissent et décroissent dans la même proportion; ce qui affecte l’un affecte l’autre en même temps. L’âge, la maladie, le sexe, ont à la fois sur le cerveau et sur l’intelligence une influence toute semblable. Or, d’après la méthode baconienne, quand une circonstance produit un effet par sa présence, qu’elle le supprime par son absence ou le modifie par ses changemens, elle peut être considérée comme la vraie cause de cet effet. Le cerveau réunit ces trois conditions dans son rapport avec la pensée : il est donc la cause de la pensée.

Mais je ferai remarquer d’abord que la science a encore beaucoup à faire avant d’avoir démontré rigoureusement les trois propositions que je viens de mentionner. Sans parler des deux premières, qui ne sont pas absolument incontestables, c’est surtout la démonstration de la troisième qui laisse à désirer. Avant d’établir que les changemens de la pensée sont proportionnels aux changemens du cerveau, il faudrait savoir à quelle circonstance tient précisément dans le cerveau le fait de la pensée : c’est ce qu’on ignore encore, car les uns invoquent le volume, les autres le poids, les autres les circonvolutions, les autres la composition chimique, les autres enfin une certaine action dynamique invisible qu’il est toujours facile de supposer. Or d’après l’avis des physiologistes les plus éminens, la physiologie du cerveau est encore d’ans l’enfance, et les rapports du cerveau et de la pensée sont profondément inconnus[1].

  1. Voyez sur cette question l’Anatomie comparée du système nerveux, par MM. Leuret et Gratiolet.