Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/911

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

spontanées en écartant tout germe extérieur et en brûlant par la chaleur les germes qui peuvent exister dans un liquide fermentescible: cette seconde série d’expériences est ce qu’il y a de moins original dans les travaux de M. Pasteur : c’est au fond la célèbre expérience de Schwann renouvelée dans des conditions d’exécution plus parfaite. Enfin la troisième série d’expériences, et la plus intéressante, consiste à obtenir à volonté des productions d’infusoires en réintroduisant les germes, c’est-à-dire les corpuscules organisés déjà recueillis par la première méthode[1].

Au reste, dans les sciences expérimentales, aucune démonstration n’a jamais de valeur absolue, et l’autorité d’une conclusion ne peut être que relative au nombre des faits observés. Aussi ne faut-il pas dire que la génération spontanée est impossible : il faut dire que, dans l’état actuel de la science, il n’existe aucun fait constaté de génération spontanée; il faut dire que, toutes les fois qu’on a pris les précautions nécessaires, de pareils faits ne se sont pas produits; il faut dire enfin que tous les argumens qu’on faisait valoir en faveur de cette doctrine ont succombé devant l’expérience. Si limitées que soient ces affirmations, elles sont encore d’une haute importance, car elles condamnent à soutenir une hypothèse gratuite ceux qui les nient. L’hypothèse est sans doute permise dans les sciences spéculatives, là où il est impossible de toucher du doigt les choses elles-mêmes; mais l’hypothèse ne doit jamais être gratuite et reposer simplement sur un besoin et un désir de notre esprit. Or le matérialisme, en affirmant la génération spontanée par la seule raison qu’il en a besoin pour étayer son système, fait une hypothèse toute gratuite, dont les faits, tels qu’ils sont, ne lui fournissent pas les élémens.

Pour échapper aux difficultés précédentes, M. Büchner propose une conjecture : « On pourrait supposer, dit-il, que les germes de tout ce qui vit, doués de l’idée de l’espèce, ont existé de toute éternité. » Mais qui ne verra dans cette hypothèse une contradiction manifeste avec le système général de l’auteur? Car comment ces germes se sont-ils formés? Par quelle force les élémens de la matière se sont-ils réunis pour former un germe, et un germe qui contienne virtuellement l’espèce? C’est là un point de vue tout à fait idéaliste. Remarquez en effet qu’on ne peut pas supposer deux espèces de matières, l’une qui serait vivante et l’autre inerte. L’hypothèse de Buffon sur une matière propre aux êtres organisés a été réfutée par les découvertes de la chimie organique. La matière qui entre dans le corps vivant est la même que celle des minéraux et

  1. Voir le mémoire de M. Pasteur, les Corpuscules organisés répandus dans l’atmosphère ; Paris 1862.