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gradation et du progrès; mais enfin, à un jour donné, la vie est apparue. Comment? D’où venait-elle? Par quel miracle la matière brute est-elle devenue vivante et animée? C’est là, je le répète, un grand mystère, et tout esprit sage aimera toujours mieux se taire que d’affirmer ce qu’il ne sait pas.

Pour M. Büchner, il n’y a pas là de difficulté. La vie est une certaine combinaison de matière qui est devenue possible le jour où elle a rencontré des circonstances favorables. S’il se bornait à ces termes, il serait difficile de le réfuter, car qui peut savoir ce qui est possible et ce qui ne l’est pas? Mais l’auteur allemand va beaucoup plus loin. Pour lui, il n’y a jamais eu dans la nature apparition d’une force nouvelle. Tout ce qui s’est produit dans le passé a du se produire par des forces semblables à celles que nous connaissons aujourd’hui. Par là, il s’engage à soutenir qu’aujourd’hui même encore nous assistons au miracle de l’origine de la vie, que la matière est apte à produire spontanément des organismes vivans. En portant la discussion sur ce terrain, il fournit une base solide à la discussion, car nous pouvons alors nous demander ce que la science nous apprend de l’origine actuelle des êtres vivans, en un mot quel est aujourd’hui l’état de la science sur la vieille et célèbre question de la génération spontanée.

On appelle génération spontanée ou hétérogénie la formation de certains êtres vivans, sans germes préexistans, par le seul jeu des forces physiques et chimiques de la matière. Dès la plus haute antiquité, on a cru à la génération spontanée. « On voit, dit Lucrèce, des vers tout vivans sortir de la boue fétide lorsque la terre, amollie par les pluies, a atteint un suffisant degré de putréfaction. Les élémens mis en mouvement et rapprochés dans des conditions nouvelles donnent naissance à des animaux. » Cette croyance durait encore au XVIe et au XVIIe siècle. Van-Helmont décrit le moyen de faire naître des souris, d’autres auteurs l’art de produire des grenouilles et des anguilles. Une expérience décisive de Redi porta un coup mortel à toutes ces ridicules superstitions. Il montra que les vers qui viennent de la viande ne sont que des larves d’œufs de mouche, et qu’en enveloppant la viande dans une gaze légère on empêchait la naissance de ces larves; plus tard, on reconnut les œufs déposés sur cette gaze, et le mystère fut expliqué. Cependant la découverte du microscope ouvrit une voie nouvelle aux partisans de la génération spontanée. Les animaux microscopiques qui apparaissent dans les infusions des matières animales et végétales paraissaient se produire en dehors de toutes conditions sexuelles et sans germes préexistans. Les belles expériences de Needham semblèrent donner gain de cause à cette opinion; celles de Spallanzani