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sique tout récent : « Jamais, quand on s’est adressé à un rayon simple, on n’a trouvé une variation de lumière sans une variation correspondante de chaleur. Une telle concordance de résultats donne à penser que la chaleur et la lumière ne sont peut-être que les manifestations différentes d’un seul et même rayonnement; la différence ne résulterait que de l’espèce de modification que peut subir l’objet frappé. Sur la vue, ce rayonnement donnerait l’impression de lumière; sur le toucher, l’impression serait toute différente[1]. »

En dehors de nous, en dehors du sujet sentant, il n’y a donc pas deux choses, chaleur et lumière, mais une seule, qui se diversifie dans nos organes de sensation. La chaleur, c’est la lumière perçue par les nerfs tactiles, et la lumière, c’est la chaleur perçue par le nerf optique. Enfin, comme nous avons vu que la lumière n’est qu’un mouvement, la chaleur aussi n’est qu’un mouvement. Ainsi, pour résumer toute cette théorie, abstraction faite du sujet sentant ou vivant, de l’animal en un mot, il n’y a dans la nature ni chaud, ni froid, ni lumière, ni obscurité, ni bruit, ni silence; il n’y a que des mouvemens variés, dont la mécanique détermine les lois et les conditions.

La physiologie vient à l’appui de la physique pour démontrer la subjectivité de nos sensations. Voici la loi fondamentale de nos sensations suivant Muller, le grand physiologiste allemand : «La même cause peut produire des sensations différentes dans les diverses espèces de nerfs; les causes les plus différentes produisent une même sensation dans chaque catégorie de nerfs. » C’est ainsi que l’électricité mise en contact avec chacun de nos sens détermine dans chacun d’eux des sensations spéciales : dans l’œil des phénomènes lumineux, dans l’oreille des sons, dans la bouche des saveurs, dans les nerfs tactiles des picotemens. Les narcotiques produisent également des phénomènes internes d’audition et de vision, de bourdonnemens dans les oreilles, de flamboiemens dans les yeux, de fourmillemens dans les nerfs tactiles. Réciproquement la sensation lumineuse est produite dans l’œil par les vibrations de l’éther, par des actions mécaniques, par un choc, un coup, par l’électricité, par des actions chimiques. Il en est de même de chacun des autres sens. » Müller conclut de ces faits que les sens ont chacun leurs énergies distinctes et déterminées, qui en sont comme les qualités vitales, et il approuve cette belle théorie d’Aristote, anticipation de tout ce que nous venons de dire, à savoir que la sensation est « l’acte commun du sensible et du sentant. »

  1. Traité élémentaire de physique, par MM. d’Almeida et Boutan.