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II.

Le principe de la nouvelle école matérialiste est ainsi exprimé par le docteur Büchner : « Point de force sans matière, point de matière sans force. » La force, selon Moleschott, n’est pas un dieu donnant l’impulsion à la matière; une force qui plane au-dessus de la matière est une idée absurde. La force est la propriété de la matière, et elle en est inséparable. Essayez de vous représenter une matière sans force, par exemple sans une force d’attraction ou de répulsion, de cohésion ou d’affinité : l’idée même de la matière disparaît, car il lui serait impossible alors d’être dans un état quelconque déterminé. Réciproquement, qu’est-ce qu’une force sans matière, — l’électricité sans particules électrisées, l’attraction sans molécules qui s’attirent? « Peut-on soutenir, dit Vogt, qu’il existe une faculté sécrétoire indépendante de la glande, une faculté contractive indépendante de la fibre musculaire? » Ce sont là de pures abstractions. En un mot, comme le dit ingénieusement un savant physiologiste de Berlin, M. Dubois-Raymond, « la matière n’est pas un coche auquel, en guise de chevaux, on mettrait ou on ôterait des forces. » Chaque molécule matérielle a ses propriétés inhérentes et éternelles, et les porte partout avec elle. « Une particule de fer, dit le même écrivain, est et demeure la même chose, qu’elle parcoure l’univers dans l’aérolithe, qu’elle roule comme le tonnerre sur la voie ferrée d’une locomotive, ou qu’elle circule dans le globule sanguin par les tempes d’un poète. » Il suit de ces principes que l’idée d’une force créatrice, d’une force absolue, séparée de la matière, la créant, la gouvernant suivant certaines lois arbitraires, est une pure abstraction. C’est une qualité occulte transformée en être absolu.

Ainsi la matière et la force sont inséparables, et l’une et l’autre existent de toute éternité. Immortalité de la matière, immortalité de la force, tel est le second principe de la philosophie que nous exposons. L’immortalité de la matière, soupçonnée depuis longtemps par la science, est devenue une vérité positive depuis les admirables découvertes de la chimie. La chimie a démontré que la même quantité de matière subsiste toujours, quelles que soient les combinaisons différentes où elle entre : c’est la balance qui nous a acquis ce grand résultat. Brûlez un morceau de bois, la balance du chimiste vous apprendra qu’aucune particule de matière n’a été perdue, et même que ce poids a été augmenté d’une certaine quantité perdue par l’air. Dans toutes les compositions ou décompositions de la chimie, il y a toujours équation entre les élémens et les