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les choses sous un autre point de vue que moi. Aucun bien n’arrivera de toutes les améliorations que j’ai voulu faire à ce pays-ci. Au contraire, à mesure que nous nous avançons, nous serons plus opprimés. Je regarde le corps des cadets, etc., comme autant d’avantages pour notre puissante voisine. La seule consolation qui nous reste est d’ignorer nos malheurs. Quant à moi, je ne sens que trop les épines dont ma couronne est semée. Je l’aurais déjà envoyée à tous les cinquante mille diables, si je n’avais pas honte d’abandonner mon poste. Croyez-moi, ne courez jamais après les grands emplois; il n’en reste que des amertumes. Quand ils viennent inattendus et non cherchés, acceptez-les. Si j’avais suivi cette maxime, j’aurais mieux fait. Mon ambition m’entraîna; j’osai prétendre à une couronne; j’ai réussi, et je suis malheureux. »

« Une autre fois il me dit en anglais : « Je suis puni pour avoir fait mon devoir. Si on m’avait laissé tranquille, j’aurais rendu mon peuple heureux; je ne l’aurais jamais opprimé. J’ai été simple particulier, et je connais le prix de la liberté et le poids de l’oppression. J’ai tous les soucis sans aucune des prérogatives d’un roi. »


C’est ainsi agité de tristes pressentimens, et en présence de la Russie de plus en plus menaçante et hautaine, que le roi Stanislas-Auguste allait ouvrir la diète de 1768.


….. « La diète, après avoir été deux fois convoquée et deux fois ajournée, s’est enfin réunie aujourd’hui[1] pour la première fois, afin d’entendre lire les résolutions arrêtées par la délégation. Je me suis rendu dès onze heures au château. Le coup d’œil était imposant. Le roi, sous un dais, au haut bout, entouré de ses officiers; à sa droite est assis le primat, comme le premier des sénateurs, avec son porte-crosse et ses autres suivans. On le prendrait pour un second roi. De l’autre côté est l’archevêque de Léopol[2]. Derrière eux, au premier rang, sont les sénateurs qui remplissent le premier banc, et après viennent les autres membres ou nonces, comme on les appelle.

« Avant que la lecture des pièces commençât, quelques-uns voulurent prendre la parole, mais on ne le leur permit pas... En résumé, toute l’assistance écouta l’affaire des dissidens très patiemment et sans un murmure. Il y eut un nonce de la Prusse polonaise qui déclara vouloir protester contre toutes les résolutions prises relativement aux dissidens ; mais on le fit changer d’avis, et il s’absenta pour le reste de la diète... J’aperçus dans une chambre, dont une fenêtre donnait sur la salle, l’ambassadeur russe, entouré de quatre ou cinq généraux, veillant avec eux sur ce qui se passait et avançant la tête, de temps à autre, pour menacer quiconque avait la hardiesse de faire quelque opposition.

« Les autres séances de la diète se sont passées comme la première. Tous les jours, il y a eu quelque faible tentative pour prendre la parole; mais en fin de compte aucun discours n’a été prononcé. On a dit aux nonces :

  1. 28 février 1768.
  2. Léopol ou Lemberg, ville de Galicie.