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des destinées à venir des peuples et de marquer pour eux, sur la carte de l’Europe, des alliances nécessaires ou des inimitiés inévitables.

Les citations déjà faites, quelques-unes de celles qu’on rencontrera plus loin suffiront pour justifier les réserves que nous avons cru devoir présenter, dès le début, contre les tendances habituelles et dominantes de lord Malmesbury. Nous n’ajouterons plus que quelques traits pour montrer jusqu’à quel point un esprit naturellement juste peut être faussé par ses ressentimens, et combien une préoccupation constante, une hostilité systématique excluent tout retour sur soi-même. Dans plusieurs de ses dépêches, lord Malmesbury accuse la cour de France de séduire Catherine par ses flatteries, « de la captiver par une politique insidieuse en profitant de sa disposition à croire toute assertion qui lui paraît dictée par le sentiment de sa grandeur et de sa puissance[1], de lui faire entendre, par le canal de favoris corrompus et méprisables, un langage trompeur[2]. » Or lui-même trouverait tout simple de gagner les favoris de Catherine à prix d’or, « s’ils n’étaient trop riches pour être accessibles à la corruption. » En 1780, il écrivait à lord Stormont au sujet de Potemkin[3] : « Si des informations ultérieures me prouvaient, comme je le crois presque, que sa fidélité a été ébranlée ou sa connivence achetée par des offres directes ou par des promesses indirectes, non-seulement je me sentirais autorisé à lui présenter un semblable appât, mais encore je m’y croirais forcé, car, si jamais il venait à être dominé par l’influence prussienne, toute chance de succès serait perdue pour nous. Je tâcherai toutefois de ne parler qu’en termes généraux et de ne donner que des espérances jusqu’à ce que j’aie reçu des instructions de votre seigneurie. Vous voudrez bien vous rappeler que j’ai affaire à un homme immensément riche, connaissant toute l’importance de ce qu’on attend de lui, et dont il faut satisfaire non les besoins, mais l’avidité. Il voudra peut-être tout autant que Torcy proposa sans succès à Marlborough[4]. »

Ailleurs encore, nous trouvons M. Harris proposant à lord Weymouth « d’encourager les idées romanesques de Catherine sur l’Orient, » de faire luire à ses yeux le mirage « d’un empire grec à

  1. Lettre du 31 mars 1778, t. Ier, p. 156.
  2. Lettre du 1er mai 1778, t. Ier, p. 168.
  3. Lettre du 31 mars 1780, t. Ier, p. 252.
  4. « Ainsi ce n’était pas un déshonneur d’essayer si le duc de Marlborough, intéressé à continuer la guerre, ne serait pas plus sensible à l’intérêt que le roi lui ferait trouver de contribuer à la paix. S’il en était assez touché pour y donner ses soins et son crédit,... la récompense que le roi consentait de lui donner était de 2 millions... Enfin sa majesté étendit jusqu’à 4 millions le pouvoir qu’elle donnait à son ministre...» — Mémoires de M. de Torcy, t. II, p. 99.