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que, sauf de courtes trêves où la rivalité n’était pas moins vive pour rester cachée, l’Angleterre semble n’avoir eu d’autre but que de combattre partout l’influence française. Nous espérons que nul ne se méprendra sur notre langage, et ne croira que, tombant dans l’excès que nous condamnons, nous prétendions établir que le gouvernement anglais fut toujours l’agresseur, et que ses intérêts essentiels ne lui fissent pas, dans plus d’une occasion, une nécessité de nous résister par la diplomatie ou par les armes; mais si l’Angleterre eut souvent le choix de ses alliés, elle semble n’avoir jamais hésité sur le choix de son ennemie, d’autant plus ardente à la combattre qu’elle la voyait plus prospère. Toute paix n’était qu’une trêve, et la grandeur de la France sous la maison de Bourbon était un sujet constant de jalousie, un texte inépuisable de déclamations comme celles dont le journal et les dépêches de sir James Harris n’offrent que trop d’exemples. Jamais cette politique n’eut de serviteur plus ardent; rarement elle en eut de plus habile. Ami personnel de Fox, dont il se sépara toutefois lorsque celui-ci se déclara prêt à reconnaître la république française, il était décidément de l’école de Pitt. Il aurait mérité, comme Pitt, d’être appelé par M. Thiers un pur Anglais. S’il se montre à découvert dans ses dépêches et dans ses lettres, il n’était pas homme cependant à imiter la singulière candeur de M. Frazer, l’un de ses successeurs à la cour de Catherine en 1787, dont M. de Ségur raconte dans ses mémoires cette curieuse anecdote, « Interrogé par les ministres russes sur les motifs qui portaient son cabinet à se montrer si hostile et à souffler, en Turquie ainsi qu’en Suède, l’esprit de guerre el de haine contre la France : « Que voulez-vous? répondit le chargé d’affaires d’Angleterre, nous avons l’ordre de faire en tout point le contraire de ce que souhaite la France. Elle désirait la paix entre vous et la Porte, nous excitons les Turcs à la guerre; si la France avait excité la guerre, nous aurions conseillé la paix. »

On verra plus tard si la mission de M. Harris à Pétersbourg en 1778 avait un autre but, quoiqu’il se fût bien gardé de l’avouer si naïvement. Toutefois, il est juste de ne pas l’oublier, M. Harris agissait, pensait, écrivait au milieu des entraînemens de la guerre, des excitations d’une longue lutte, dans toute l’ardeur d’une rivalité où la puissance de l’Angleterre était en jeu, et c’est là l’excuse de sa passion; mais c’est avec peine qu’on retrouve chez son petit-fils, en 1845, après une longue paix, la même tendance à une hostilité systématique. En 1845, il est vrai, quelque récens que fussent encore les souvenirs de l’entente cordiale, et quoique le retentissement des acclamations qui avaient accueilli le roi Louis-Philippe dans la Grande-Bretagne fut à peine éteint, le cabinet anglais