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charme pittoresque à la précision scientifique, et nous donner des Tableaux de la nature d’autant plus beaux qu’ils sont plus vrais, M. Vogt en Allemagne, et M. de Quatrefages en France, l’ont suivi dans cette voie qu’on aurait tort d’abandonner. C’est au prix de semblables efforts que les gens du monde peuvent aborder le sanctuaire de la science : la rendre accessible est presque un devoir pour ceux qui la connaissent et qui l’aiment; ses progrès seront en raison du nombre et du zèle des travailleurs voués à son service. Puisse l’exemple de M. Berna devenir contagieux parmi nous! J’aurais alors atteint le but de cette étude, où j’ai voulu montrer quels souvenirs de pareilles expéditions, entreprises sur une échelle modeste, laissent après elles : on voit combien elles peuvent servir la science, qui, dans ses libres allures, est souvent gênée par les prescriptions officielles des missions gouvernementales. Le voyageur partant pour des contrées lointaines ne sait ni ce qu’il verra ni ce qu’il fera, et devant la nature toutes les prévisions conçues dans le cabinet s’évanouissent comme de vains projets impossibles à réaliser. De là les avantages inappréciables de la liberté, car elle permet de tenir compte de l’imprévu et de se livrer aux recherches qui seront à la fois les plus fécondes et les plus séduisantes pour les savans associés dans une œuvre commune. La liberté malheureusement est incompatible avec ces voyages officiels auxquels le temps est strictement mesuré. L’ère de ce genre de voyages, comme celle des circumnavigations hâtives, doit être regardée comme définitivement close. Le monde est connu: il n’y a plus de grandes terres et bien peu d’îles nouvelles à découvrir. Les phénomènes les plus frappans, les animaux et les végétaux les plus communs ou les plus remarquables ont été recueillis et décrits. Les expéditions de Cook, de La Pérouse, de Duperrey, de d’Urville, de Belcher et de James Ross resteront comme des modèles accomplis des voyages de découvertes. Maintenant un examen plus minutieux, une exploration plus attentive peuvent seuls augmenter la somme de nos connaissances et la richesse de nos collections. Des voyages limités, des séjours prolongés fourniront désormais à la géographie, à la météorologie, à la physique du globe et à l’histoire naturelle les matériaux qu’elles réclament. Ce nouveau genre d’exploration a été inauguré par les hivernages de Ross et de Parry dans l’Amérique septentrionale, et par celui de la commission scientifique française de 1838 à Bossekop, dans le Kaa-Fiord, en Laponie.


CHARLES MARTINS.