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brables oiseaux sont alignés sur ces gradins naturels. Des pointes de rochers se dégagent de la masse de lave et se dressent comme des doigts gigantesques. Le capitaine déclare qu’il est impossible d’aborder au pied de ces falaises; nous longeons pendant trois heures la côte sans trouver un point où nous puissions mettre pied à terre. Nous passons devant les deux grands glaciers; ils se réunissent en arrivant à la mer, qui les démolit sans relâche. Nous voyons des glaces détachées du glacier flotter à la surface de l’eau, et porter des pierres et du sable incrustés dans leur épaisseur. Nous les accrochâmes avec les gaffes pour choisir les échantillons de roches. Un morceau de glace fut même déposé dans le canot afin de le fondre à bord et de recueillir le résidu de la fusion.

« La journée s’avançait, et le brouillard commençait à se montrer. Le nombre des oiseaux était vraiment incroyable, et leur insolence sans égale. Ils semblaient vouloir abattre à coups d’ailes nos bonnets et nos chapeaux. Le capitaine indigné jette son fusil, et, armé d’une gaffe, se met à frapper de droite et de gauche, comme Roland furieux sur les moutons. Quelques procellaires furent assommées et recueillies par les matelots. Nous regagnâmes le bord pénétrés de froid, mais décidés à recommencer. »

Sans aller jusqu’à l’île Jan Mayen ou sans aborder le Spitzberg, le lecteur peut se faire une idée de ces glaciers et des glaces flottantes. Au fond du Valais, un immense glacier, celui d’Aletsch, descend des cirques de la Jungfrau. Un petit lac, appelé Moeril, se trouve sur le bord du glacier, qui surplombe ses eaux tranquilles. Des blocs de glace se détachent de la masse principale, tombent dans l’eau, flottent à sa surface ou viennent échouer sur ses bords. C’est la miniature du spectacle dont les voyageurs du Joachim-Hinrich ont joui sur les côtes de Jan Mayen et que j’ai admiré dans les baies de Bell-Sound et de Magdalena-Bay au Spitzberg; mais laissons encore la parole à M. Vogt.

« Le lendemain, le navire avait dérivé vers le sud; nous prîmes le petit canot, M. Berna et moi, parce que l’abordage devait être plus facile qu’avec une lourde chaloupe. A peine avions-nous quitté le bord que le Beerenberg se découvrit; un grand glacier semblable à celui d’Aletsch en Valais, semblait couler du haut de la montagne; il était accompagné de deux moraines latérales, et sa moraine terminale le séparait de la mer. Nous approchons de la côte, cherchant un point où nous puissions l’aborder; mais partout le flot brise contre la moraine, et le ressac est des plus violens. Je crois apercevoir un ruisseau qui tombe dans la mer, nous espérons pouvoir accoster sur ses rives : vain espoir! ce ruisseau, qui ne coule que quelques heures pendant la journée, est barré par une digue de cailloux que les vagues ont élevée devant lui et dans laquelle il se perd. Cependant une