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voyage en Laponie le premier troupeau de rennes. Quelques Lapons sédentaires habitent ce lieu pendant l’été, et leurs troupeaux paissent à l’entour; mais la domesticité de ces animaux n’est jamais parfaite : ils errent à leur fantaisie et suivent aveuglément le chef qui les conduit. Le Lapon les surveille et les maintient à l’aide de chiens dressés à cet effet, et qui se paient souvent jusqu’à 250 fr. Le prix d’un renne est de 30 francs, et comme les troupeaux se composent souvent de mille à douze cents têtes, il n’est pas rare de voir des Lapons, vivant sous la tente ou dans leurs bouges en terre, dont la fortune s’élève à 30,000 ou 40,000 francs.

Un troupeau de rennes en marche est un des spectacles les plus curieux que l’on puisse voir. Qu’on se figure des animaux de la taille du cerf, et dont les têtes sont ornées de bois majestueux, se pressant tumultueusement sur les pas du chef qui les conduit. Un bruit semblable à celui de la grêle frappant des vitres, ou mieux de milliers d’étincelles électriques produit par le jeu de leurs articulations, accompagne leur marche. Craintifs et farouches, ils ne se laissent approcher que par leurs maîtres, qui eux-mêmes sont obligés, pour les prendre, de se servir d’un laço comme celui des cavaliers du Brésil ou des pampas de Buenos-Ayres. Quand le laço est enroulé autour des cornes, on précipite l’animal à terre, et alors celui-ci ne bouge plus et se laisse traire. Indocile et peureux, le renne est un mauvais animal de trait, car, sous l’impulsion du conducteur, il s’élance impétueusement sans obéir toujours à la main qui cherche à le diriger. Le petit traîneau qu’il emporte derrière lui vient-il à chavirer, l’animal continue toujours sa course, ou se retourne et frappe son conducteur avec ses cornes, si celui-ci le contrarie trop vivement. Aussi, malgré sa vitesse, qui est considérable, car il peut faire jusqu’à 120 kilomètres en un jour, le renne est-il peu employé, et les voyageurs qui ont fait en traîneau des excursions en Laponie pendant l’hiver en parlent comme d’un mode de voyager des plus pénibles et des plus dangereux. La véritable valeur du renne consiste dans sa chair, qui est une des plus saines et des meilleures qui existent. Une famille de Lapons vit sur son troupeau, qui lui fournit à la fois le vêtement et la nourriture. Les cornes et les peaux qui ne sont pas employées par les propriétaires sont achetées par les marchands norvégiens.

MM. Vogt et Berna ne montèrent pas sur le Tromdalstind ; c’est dans leur récit une lacune que je puis remplir en racontant l’ascension que je fis de cette montagne avec M. Raoul Angles le 7 juillet 1838. Arrivés au fond de la vallée, nous commencions à gravir une pente assez raide. Les bouleaux devenaient de plus en plus rares. Enfin nous arrivâmes à une zone où tous étaient morts, quoique debout. L’un d’eux portait un énorme champignon amadouvier. Je