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étaient usés au même niveau que les bandes de quartz et de feldspath qui les entouraient. En aval de cette dalle polie, nous en découvrîmes d’autres sous le gazon ou sous la couche d’argile, et avec la longue-vue nous pûmes suivre les roches moutonnées jusqu’au pied du Romdalshorn. »

MM. Vogt et Gressly exposaient à l’envi à leurs amis la théorie de l’ancienne extension des glaciers, dont tous deux, à la suite de Charpentier et d’Agassiz, avaient préparé le triomphe définitif. Le lendemain, ils constatèrent un fait d’un autre genre, mais non moins curieux. A la surface du fiord l’eau était parfaitement douce, tandis qu’à une certaine profondeur (1m, 50 environ) c’était de l’eau salée. L’eau douce, plus légère, amenée par la rivière, se maintenait à la surface de l’eau salée, comme l’huile se maintient à la surface de l’eau. Aussi la drague ramenait du fond des oursins, des coquilles marines et des poissons de mer. Au contraire, les algues et autres plantes marines du rivage ne présentaient qu’une végétation misérable, l’eau douce, qui est hostile à leur croissance, remplaçant pendant l’été l’eau salée. Celle-ci redevient prédominante en hiver, lorsque les ruisseaux et les rivières, produits de la fonte des neiges, s’arrêtent ou gèlent, et que les vents viennent bouleverser les eaux tranquilles du fiord et mêler l’eau salée du fond avec l’eau douce de la surface.

Afin d’avoir une idée des hauts plateaux de la Norvège, les voyageurs résolurent de traverser le Dovrefield[1] et de gagner ainsi Drontheim, tandis que le brick viendrait les rejoindre par mer. Après de longues négociations, un marchand de Naes leur loua quatre carrioles qui, attelées de chevaux de poste, devaient les transporter à travers la montagne. Nous ne les suivrons pas de station en station jusqu’à celle de Jerkind, au pied du Sneehaetten, un des sommets les plus élevés de la Norvège. Les montagnes de ce pays ne ressemblent en rien aux Alpes ni aux Pyrénées. Elles forment un plateau uniforme, ondulé, parsemé de marais et de lacs, élevé de 1,000 à 1,500 mètres au-dessus de la mer. Quelques sommets dominent ce plateau, le Sneehaetten est du nombre.

« Le paysage (c’est M. le professeur Vogt qui parle) est grandiose, mais profondément mélancolique. Sur le premier plan, les maisons qui composent la station postale de Jerkind, groupées sur la pente qui descend vers un fond tourbeux; au-delà les rangées de collines que nous avions traversées dans la matinée. De l’autre côté s’étendent de longues lignes grises parallèles : ce sont les ondulations du plateau, qui s’élèvent peu à peu jusqu’au pied du Sneehaetten. Les taches de verdure qui se montrent dans les dépressions du plateau

  1. Field, montagne en norvégien.