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Max, comme mon ami le docteur ès-sciences. Or c’étaient de beaux enfans, sauf le plus jeune, qui, sans être contrefait ni maussade, était si réservé, si peu bruyant, si timide, qu’on l’oubliait volontiers dans un coin pour ne s’occuper que des autres, plus aimables ou plus spirituels.

NANNI.

Pauvre petit! c’est celui que j’aurais aimé le mieux.

PÉRÉGRINUS.

Il n’était point à plaindre, car, bien qu’il ne sût ni flatter, ni caresser, il aimait beaucoup! Il adorait ses parens, ses frères et ses sœurs, et son ami Max, et il était content de les aimer, il n’avait pas besoin d’autre chose. Il y a des caractères comme cela (Pliant le genou peu à peu devant Nanni, des personnes qui ne savent rien exprimer, rien demander... et qui pourtant... (Nanni le regarde étonnée, il ramasse un ruban qu’elle a laissé tomber, et le lui présente respectueusement.) Et d’ailleurs il avait un ami, un vieux parrain qui le choyait particulièrement.

NANNI, inquiète.

Un parrain?

PÉRÉGRINUS.

Oui, l’excellent homme et habile ouvrier, maitre Noël Rossmayer.

NANNI.

Ah mon Dieu! est-ce qu’elle fait peur, votre histoire, M. Pérégrinus?

PÉRÉGRINUS.

Non! ne craignez rien. Or le savant horloger enseignait son art au filleul en question, et dans ses momens de loisir il lui fabriquait des jouets fort ingénieux, des marionnettes, des soldats à ressort qui faisaient l’exercice, des animaux qui semblaient marcher tout seuls, des moulins qui tournaient,... et la veille de Noël il lui donnait tout cela pendu à un bel arbre tout brillant de lumières. L’enfant respectait ces beaux jouets et ne les eût jamais brisés; mais ses frères, plus turbulens, et Max surtout, Max curieux de voir ce que les joujoux avaient dans la tête et dans le ventre, les détruisaient sans pitié. Et le parrain grondait! Chaque année il disait au filleul : « Voici les derniers présens que je te fais, si l’an prochain tu ne peux pas m’en montrer au moins un entier... ou raccommodé par toi! » L’enfant pleurait. Il n’eût osé chercher à réparer quoi que ce soit, tant il avait de respect pour la science de son maître, et il ne savait rien refuser à ses frères, à son ami. Il ne savait ni mentir, ni cacher, ni appeler à son secours; il eût craint de faire gronder et punir ces chers tyrans qui lui prenaient tout. Un jour le parrain, qui était bien vieux, bien vieux, se sentit mourir, et l’ayant appelé, il lui dit : Mon pauvre Pérégrinus...

NANNI.

Il s’appelait comme vous?

PÉRÉGRINUS.

Il s’appelait comme moi, et il avait alors douze ans. Et comme il pleurait de voir son maître si pâle et si tremblant : « Tu pleures parce que tu m’aimes, lui dit le vieillard; mais tu m’oublieras, parce que tu es faible de caractère. De même que tu as toujours laissé prendre et détruire les jouets que j’inventais pour toi, de même tu laisseras effacer par le temps et les