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harmonies s’échangent entre le ciel, la terre et la mer. La mer renvoie à la colline des reflets bleuâtres, les ondes reproduisent dans leur paisible miroir la verdure des massifs profonds, tandis que l’azur de l’immense voûte adoucit de ses teintes légères la sauvage vigueur des nuances végétales et des miroitemens océaniques. Lorsque le soleil s’est élevé et qu’il embrase l’espace, on voit se détacher des touffes tour à tour sombres et éclatantes des feuilles de hautes tiges grisâtres qui rappellent au voyageur les sapins de ses brumeuses montagnes boréales. Les bruits de la forêt cessent, tout semble se recueillir ; seule, la sève circule avec un redoublement d’activité, et se résout en pluie désordonnée de lianes, de fleurs et de verdure. Le soir, quand le crépuscule a couvert de ses ombres eaux, montagnes et forêts, de douces brises s’élèvent, chargées des plus suaves senteurs. Bientôt un spectacle féerique commence : des milliers de petits coléoptères lumineux se montrent tout à coup à travers le feuillage des arbres qu’ils éclairent de lueurs phosphorescentes. À voir ces lumières mouvantes, qui apparaissent, se croisent, vont se perdre, puis brillent de nouveau dans mille courbes capricieuses, on dirait une course folle d’étoiles qui viennent se jouer sur l’onde pour célébrer les voluptueuses tiédeurs de la nuit et ajouter les riantes merveilles de la nature aux sévères splendeurs des cieux.

Je me trouvais à Bahia le 2 juillet, anniversaire de l’indépendance. C’est à pareil jour qu’en 1823 les derniers débris de l’armée portugaise, sous la conduite de Madeira, se décidèrent enfin à quitter la terre du Brésil. La fête commença la veille au soir. On vit des troupes de jeunes gens et de nègres se répandre dans les rues, drapeaux, torches et musique en tête. Les chants ou plutôt les cris patriotiques, le bruit des pétards, des fifres et des tambours, les fusées qui sillonnaient le ciel, tout ce vacarme se prolongea fort avant dans la nuit. Le lendemain, dès la pointe du jour, on s’occupa de pavoiser les maisons et d’élever des arcs-de-triomphe sur les principales places. Ces préparatifs achevés, tous les hommes libres revêtirent leur uniforme de gardes nationaux, et de longues colonnes armées défilèrent tout le reste de la journée dans les rues et les promenades, ornées de drapeaux et de verdure. Des pièces de canon couvertes de fleurs et de banderoles étaient tramées à bras par les jeunes gens à qui l’âge ne permettait pas encore le mousquet. Un large ruban passé en écharpe sur la poitrine et portant en grosses lettres caixeros nacionaes (commis nationaux) distinguait les jeunes créoles employés dans les maisons de commerce et représentant l’aristocratie de la ville. Les nègres, qui formaient l’immense majorité de la garde nationale, portaient le costume portugais et marquaient