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de plus en plus! car c’est là, dans cette liberté évangélique, dans ce souffle de vie supérieur aux formules, qu’est le salut de la civilisation chrétienne.

Je ne puis m’empêcher de penser à Mme Calandrini quand je vois certains écrivains de nos jours, animés des intentions les plus nobles, préoccupés à juste titre de tous les dangers qui nous menacent, consacrer leur vie à la prédication du christianisme et vouloir absolument, contradiction singulière, enfermer ce christianisme dans une formule étroite. Certes nous honorons autant que personne la haute inspiration des Études que M. Rosseeuw Saint-Hilaire vient de publier; qu’il raconte la vie de Luther ou qu’il disserte sur notre poésie lyrique, qu’il s’occupe de la condition morale des ouvriers ou qu’il s’inquiète de nos destinées religieuses, nous respectons sa foi et nous aimons la liberté de sa parole : comment dissimuler pourtant la surprise que nous avons ressentie en écoutant sur quelques points son ardente prédication? Un des morceaux les plus remarquables que renferme ce livre, un de ceux auxquels l’auteur a mis le plus de soins et attaché le plus de valeur, c’est le manifeste intitulé Ce qu’il faut à la France. Or ce qu’il faut à la France, d’après M. Rosseeuw Saint-Hilaire, ce n’est pas seulement la rénovation chrétienne du pays, c’est sa rénovation par l’église de Calvin. Avant de développer sa thèse, il esquisse à grands traits l’histoire de la pensée religieuse dans notre France. La première période, de Clovis à Saint-Louis, c’est la piété militante ou les croisades; la seconde, de saint Louis à Charles VII, nous montre le développement du monachisme et la lutte contre le saint siège; la troisième, de François Ier à Richelieu, met en présence deux tentatives bien différentes, le concordat et la réforme ; la quatrième est remplie par le jansénisme et la révocation de l’édit de Nantes. Enfin, le jansénisme une fois abattu, le protestantisme une fois noyé dans le sang, que reste-t-il sur le sol de saint Louis et de Jeanne d’Arc? Une France sans Dieu; c’est la cinquième période de cette tragique histoire, la période du XVIIIe siècle et de la révolution. Comment M. Rosseeuw Saint-Hilaire a-t-il rempli ce cadre, dont j’indique seulement les lignes principales? Sur tous les points essentiels, il a certainement des vues neuves et fortes; l’historien érudit garde sa curiosité pénétrante en dépit des entraînemens du publiciste. Sur d’autres points, ceux qui touchent à l’avenir, il nous semble qu’il méconnaît les conditions de notre siècle et que l’on voit reparaître le huguenot des guerres de religion.

Après le XVIIe et le XVIIIe siècle, après Descartes et Bossuet, après Voltaire et la révolution, il est un peu tard, en vérité, pour proposer à la France de suivre les voies de Calvin. Ce que la France n’a pas fait au XVIe siècle, à l’heure décisive où la question était posée à la face du ciel, comment le ferait-elle aujourd’hui que la lutte est finie et la discussion close? Si les peuples de race germanique ont si facilement accepté la réforme, c’est qu’ils étaient luthériens bien des siècles avant Luther, et au sein même du moyen âge. Que l’on compare les deux grands poètes de cette époque. Wolfram d’Eschembach en Allemagne, Dante en Italie, on comprendra ce que je veux dire. Dante, malgré la liberté de ses allures, est un génie profondément catholique; Wolfram, malgré la douceur de sa piété, est une âme protestante. Supposez que les instincts de la France, à tort ou à raison, ne l’aient pas éloignée du protestantisme, quelle occasion