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tempéré sur le public. Ou a trouvé que la ballerine russe se répétait un peu et qu’elle ne variait pas assez ses coups de séduction. Quelques jours après, le 18 juillet, on a repris les Vêpres siciliennes, grand ouvrage en cinq actes que M. Verdi a composé à Paris en 1855 sur un libretto de Scribe et Duveyrier. Le maître a ajouté à la partition comme deux morceaux nouveaux, un air pour voix de ténor et un chœur. Nous n’avons pas à revenir sur les qualités brillantes et sur les défauts non moins saillans qui caractérisent les œuvres de M. Verdi. Nous avons apprécié ici successivement tous les opéras du compositeur lombard qu’on a entendus à Paris, et nous ne pourrions modifier les jugemens que nous avons portés sur cet énergique dramaturge. qui a remué son pays et charmé l’Europe pendant trente ans. Son règne ou sa vogue ne touche pas encore à sa fin. Il y a dans les Vêpres siciliennes, qui n’est pas l’ouvrage le plus original de M. Verdi, des scènes vigoureuses, des mélodies touchantes, colorées, des élans passionnés, qui vous secouent, mais qui restent souvent inachevés parce que la main de l’ouvrier n’est pas assez habile pour donner aux idées le développement qu’elles comportent. M. Verdi n’emploie le plus souvent que deux couleurs extrêmes : il passe rapidement du paroxysme des passions violentes aux accens les plus tendres. Son instrumentation a les mêmes défauts : elle est tour à tour pauvre, vide, remplie de ces misérables accords plaqués dont les Italiens ont tant abusé, ou bien bruyante jusqu’à la brutalité. M. Verdi me fait l’effet de l’un de ces artistes de décadence qui, au milieu de générations affaiblies, s’élèvent tout à coup du sein du peuple et viennent étonner les écoles épuisées par des accens profonds et naïfs traduits dans une langue vigoureuse, mais incorrecte et presque barbare. M. Verdi est incontestablement le musicien chéri de l’Italie régénérée; il l’a enivrée de ses rhythmes, de ses mélodies palpitantes, et c’est un beau rôle que celui d’avoir été le Tyrtée d’une ancienne et noble nation.

Avec le personnel dont l’Opéra pouvait disposer, l’exécution des Vêpres siciliennes est au moins suffisante. C’est Mlle Sax qui s’est chargée du rôle fort difficile d’Helena, qui fut créé dans l’origine par Mlle Cruvelli. Mlle Sax possède une des plus belles voix qu’on puisse entendre; mais, cette voix puissante n’ayant pas été soumise de bonne heure à une sévère discipline, il en résulte que la vaillante cantatrice dépasse souvent le but et que sa vocalisation est plus violente que correcte. Il est juste néanmoins de reconnaître que Mlle Sax a profité des conseils que lui a donnés M. Verdi, car elle a chanté plusieurs morceaux avec succès. Elle a dit surtout avec sentiment la partie du duo qu’elle chante avec Henri au quatrième acte, et s’est fait vivement applaudir dans la sicilienne du cinquième. C’est le nouveau ténor, M. Villaret, qu’on a chargé de remplir le rôle d’Henri, qui n’est pas aussi facile que celui d’Arnold de Guillaume Tell. Il est évident maintenant que M. Villaret ne sera jamais qu’un chanteur tempéré et modeste tant qu’il conservera sa jolie voix. Il n’est plus jeune, il sait peu la musique, et il manque d’initiative et d’émotion. Il a été convenable, et il a